LFFP et modèle économique du football féminin français
Le 8 mai dernier, à l’occasion de la journée internationale pour le droit des femmes, et en réaction à l’annonce de la création de la Ligue Féminine de Football Professionnel (LFFP), le journal L’Equipe proposait une longue enquête sur le niveau réel de professionnalisation de la première division française, la D1 Arkéma, appelée à devenir la Première Ligue Arkéma dès la saison prochaine.
La situation réelle, rapportée entre autres sur SoFoot, témoigne de niveaux de salaires insuffisants pour que les joueuses inscrites dans les effectifs de clubs du niveau de Reims, Guingamp, Dijon, Le Havre ou Bordeaux (places fortes ou historiques du football français) puissent décemment exercer leur métier et construire leurs performances.
Il faut ajouter à cela des conditions d’infrastructures souvent précaires pour les sections féminines, alors pourtant que la Fédération a mis en place un système de licence pour conditionner l’inscription des clubs dans l’élite du football féminin hexagonal (Licence Excellence et/ou Elite).
Alors que la saison va s’achever sur des promesses, avec la locomotive Olympique Lyonnais en finale à la fois du Championnat mais aussi de la Ligue des Champions, face au Paris Saint-Germain, vainqueur aussi de la Coupe de France, la question se pose donc d’identifier le rôle de la LFFP dans le développement structuré des clubs français, notamment dans la compétition menée avec le modèle anglais incarné par la Women’s Super League (WSL).
Un modèle bicéphale
Dans l’illusion sportive qu’entretiennent les performances domestiques et européennes de l’OL et du PSG, il tient de rappeler l’écart fondamental qui existe entre ces deux clubs et les 10 autres membres de l’élite française.
Sur le seul critère du budget, on observe le graphique suivant :
On constate la domination économique claire du duopôle OL/PSG, qui va se traduire dans la domination salariale, et in fine, sportive :
Wladimir Andreff a établi par ailleurs les coefficients de compétitivité de la D1 Arkéma, selon les indicateurs de Noll-Scully et de Spearman, et conclut à un déséquilibre compétitif très fort puisque la D1 Arkéma apparaît “plus déséquilibrée que n’importe lequel des championnats du Big Five du football masculin européen, dont l’indice NS se situe entre les valeurs extrêmes de 1,32 et 1,90” (Wladimir Andreff, « Le modèle économique de la Division 1 Féminine », Football(s). Histoire, culture, économie, société, 2 | 2023, 133-148).
Des affluences comme axe d’amélioration
Ce déséquilibre, s’il est favorable aux équipes engagées en Europe, a une incidence négative sur les affluences, déjà handicapée par un net déficit culturel autour du supporterisme français. Faibles, l’absence d’intensité concurrentielle ne crée pas l’effet d’opportunité propre au spectacle sportif pour les curieux, et ce, malgré des offres en billetterie très abordables.
Dans l’étude source du graphique précédent, Two Circles établit néanmoins les progrès constitués sur les affluences, avec une augmentation de 45% des matches entre 1000 et 5000 spectateurs, grâce au développement des stratégies “grands matches” initiées par la Ligue.
De fait, les affluences des rencontres premium sont à la hauteur des attentes :
OL-PSG (Ligue des Champions, 21 avril 2024) : 38 466 spectateurs
OL-PSG (D1 Arkéma, 11 février 2024) : 21 750 spectateurs
Paris FC – Chelsea (Ligue des Champions, 30 janvier 2024) : 13 274 spectateurs
Les promotions probables du FC Nantes, et surtout de l’Olympique de Marseille, actuellement co-leaders de D2 Féminine, la tendance générale de métropolisation du sport, sont de fait des gages encourageants pour la croissance des affluences pour les matches de Première Ligue Arkéma, et de quoi impulser une dynamique vertueuse depuis les tribunes.
D’abord en créant des ressources nouvelles, que ce soit sur des revenus directs, puisque selon l’étude menée par W. Andreff, en 2019, les revenus billetterie ne constituaient que 4,3% des revenus des clubs (seulement 2,1% si l’on exclut le duo OL & PSG).
Ou en investissant sur la fan-expérience, à l’exemple du Paris FC qui a rendu gratuits l’ensemble de ses matches, mais peut générer un CRM très efficace (+109% de data, +60% de profils actifs).
Si l’on mène une comparaison avec le modèle anglais, parmi les exemples duquel on peut citer le club d’Arsenal, qui annonce ce mardi 14 mai faire de Wembley sa résidence principale pour les féminines, on constate une progression des affluences exponentielle
Portées par une culture supporter bien mieux ancrée, les affluences anglaises sont sans commune mesure avec leurs équivalents français :
Il s’agit donc pour la future LFFP d’accompagner les clubs dans le déploiement de leur marque féminine vis-à-vis de leurs publics, à travers un travail de formation et de pédagogie. Une mission d’ailleurs explicitée dans la présentation de la Ligue, dont le budget est abondé à hauteur de 10 millions € pour 2024-25.
Les droits TV, nerf de la pérennité
L’autre, si ce n’est la principale mission de la future LFFP sera de négocier au mieux-disant les droits commerciaux des deux divisions professionnelles féminines. A travers des partenariats officiels (ballons, namings futurs…) et surtout les droits de diffusion nationale (actuellement détenus par Canal +) et internationale (co-détenus par la plateforme DAZN).
Avec un contrat évalué à 1,5 million d’euros par saison, l’accord actuel est toutefois loin d’égaler les performances anglaise, allemande ou espagnole.
Le faible montant proposé par le diffuseur est un frein à la valorisation des clubs français puisque selon le rapport Deloitte Football Money League 2024 consacré au football féminin, seul le PSG figure parmi les 15 clubs les mieux valorisés d’Europe, avec un chiffre d’affaires estimé à 3,7 millions d’euros.
Afin de maximiser les sommes engagées par les diffuseurs, la LFFP devra accompagner les clubs dans la modernisation de leurs infrastructures stades :
- outils de diffusion audiovisuelle
- développer de véritables enceintes de match, pour en finir avec les annexes et terrains d’entraînement
- remplissage des stades, qui amène une plus-value télévisée en suscitant l’engouement et l’animation des tribunes
Ancrage territorial et revenus privés
Comme le démontre l’infographie publiée par Deloitte, le dernier levier de développement est l’activation de partenaires pour générer des revenus commerciaux hors droits TV.
En D1 Arkéma, un modèle “mixte” tend à rester majoritaire avec un minimum de partenaires exclusifs dédiés à l’équipe féminine, et des ressources essentiellement issues des partenaires de l’équipe fanion masculine. Contraints par des revenus billetterie quasi-inexistants, la plupart des clubs dépendent de fait des subventions publiques.
Seuls le PSG et l’OL développent un modèle économique structuré autour de partenaires commerciaux spécifiques (une trentaine pour l’OL, une quinzaine pour le PSG). L’Olympique Lyonnais apportant une exception supplémentaire par un actionnariat spécifique à la section féminine, depuis la reprise par Michele Kang en 2024.
Or, la capacité à mobiliser le tissu territorial en tant que partenaires relève d’une pertinence majeure, appuyée notamment par les travaux de Jouny et Phanuel. Dans le contexte du sport féminin, le levier de la RSE est un outil cohérent à exploiter pour concevoir des activations à destination des publics et de toutes les parties prenantes.
Alors que le modèle économique de la D1 Arkéma est structurellement déficitaire (11,2 millions d’euros en 2018-2019, source W. Andreff), toutes les pistes sont à explorer.
Sur le plan national, la LFFP devra contribuer à maximiser les accords commerciaux avec des partenaires titres, comme Arkema, contributeur à hauteur d’1 million d’euros, mais loin des 9 millions de Barclay’s pour la WSL, ou Google pour la Bundesliga Frauen.
L’indépendance à petits pas
La création de la LFFP, à l’instar de celle de NewCo en Angleterre, est la première pierre dans la construction d’un modèle économique plus solide, en encadrant l’indépendance des structures commerciales féminines, et fixer leur propre proposition de valeur.
Toutefois, en attendant la maturité de ces structures, tant au niveau fédéral que celui des clubs, il convient de travailler à la solidarité entre tous les footballs, en utilisant les ressources nouvelles gagnées par la Fédération Française grâce à la reconduction record du contrat Nike, notamment.