Le sport féminin est un espace au développement suffisamment récent pour donner de la place à de nombreuses innovations : technologiques, règlementaires, marketing… mais aussi de gouvernance. C’est le cas avec l’essor du statut coopératif qu’introduit la SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif), un régime qui séduit un nombre croissant de clubs, en particulier dans l’écosystème féminin. Autour de l’exemple de l’ASUL Vaux-en-Velin, un club pionnier dans l’action territoriale, SPORTPOWHER© décrypte le fonctionnement du modèle coopératif, et présente ses avantages sur les plans économique et institutionnel, en permettant notamment aux partenaires commerciaux de co-construire la valeur produite par le club sur son territoire.
La coopérative, le projet “socios” à la française
En prenant l’exemple de l’ASUL Vaulx-en-Velin, on associe encore plus naturellement le modèle de la SCIC à l’action sociale et territoriale d’un club. En effet, comme le rappelle Pascal Jacquet, président du club qui évolue en D2F de handball, “nous sommes un club créé il y a 80 ans et dont la culture historique est dans le travail social. Le club de l’ASUL, c’est encore inscrit dans son nom, a été longtemps le club universitaire de la métropole lyonnaise, donc naturellement très engagé vers les études, mais aussi l’inclusion féminine. Nous nous sommes installés à Vaulx-en-Velin en 1989, et cette migration vers des bassins moins favorisés a eu l’effet de développer encore plus notre mission de travail social de proximité. Nous sommes par exemple des pionniers de l’aide aux devoirs et de l’accompagnement des jeunes des quartiers prioritaires de la ville. Les dirigeants de cette époque-là, dont la présidente historique Évelyne Beccia, étaient très investis localement, professionnellement, sur le développement social et le développement des quartiers, l’accompagnement des jeunes. L’action sociale et l’inclusion constituent l’ADN du club.”
À la fin des années 2010, la structuration du haut niveau, la professionnalisation des deux premières divisions du handball féminin français ont conduit les dirigeants, confrontés aux difficultés économiques d’un territoire classé parmi les plus pauvres de France, à trouver des solutions pour assurer “la survie du club au haut niveau”. C’est dans ce contexte que le club a constitué en 2022 une société commerciale en charge de la section professionnelle, nommée Esprit Sport Management. Grâce à la promulgation de la Loi visant à démocratiser le sport”, adoptée le 2 mars 2022 et ajoutant expressément parmi les options de statut pour les sociétés sportives celui de SCIC (art. 52 de la loi visant à modifier l’art. L.122-2 du Code du Sport), Pascal Jacquet et ses associés ont fait le choix d’organiser la section professionnelle de l’ASUL sous le régime de la société coopérative d’intérêt collectif, respectueuse de l’objectif d’accroche populaire promu par l’ASUL.

Car le projet de sociétariat, bien que rejoint par des entreprises, vise d’abord les particuliers, amateurs de handball du territoire lyonnais. “Nous travaillons à attirer plus de gens et à proposer un ancrage lyonnais sur le projet. Nous proposons aux amateurs de handball de devenir socios du club de manière à ouvrir beaucoup plus largement la gouvernance et faire croître l’ancrage populaire du club sur son bassin. C’est un projet éminemment collectif et il est fondamental pour sa réussite de parvenir à agglomérer plus de gens. Nous voulons un sociétariat populaire.” Le sociétariat populaire agit par ailleurs comme un levier pour fidéliser les publics du Palais des Sports Jean Capiévic et ses 1.200 places, et ce alors que l’ASUL attire en moyenne 340 à 400 spectateurs par match. “Si l’on parvient à attirer 2000 sympathisants sociétaires, cela créera un roulement positif parmi les places qui leur seraient déjà attribuées. Malgré tout, nous maintiendrons un quota important de places mises en vente, à un prix raisonnable de 4 à 5€, car la billetterie est une ressource essentielle dans la construction de notre budget.” Enfin, le sociétariat populaire est un levier pertinent pour la création d’une identité des supporters attachés au club, avec le projet d’animer un “kop” parmi les plus fervents sympathisants.
Le rôle des entreprises et partenaires dans le projet coopératif
Les partenaires privés, organisés en collège de partenaires sociétaires, forment la majorité du conseil d’administration de la SCIC et assurent la pérennité du secteur professionnel dans les décisions et orientations stratégiques du club. Leur apport a permis au club de doubler son budget en 5 ans, désormais consolidé pour le secteur professionnel aux alentours de 400 k€, soit moins de la moitié de la médiane de D2F, estimée à 780 k€.
Dans ce contexte budgétaire, “l’argent qu’on a est rare” cite Pascal Jacquet, le rôle des partenaires est accru: la répartition des recettes a même été inversée depuis 2022, avec désormais 30% de recettes issues des collectivités locales, et 70% issues du privé et des recettes de match.
Pour le président de l’ASUL, l’activation des partenaires est un élément essentiel du projet coopératif. “Chez nous, les activations classiques, centrées sur la visibilité, fonctionnent assez peu. Ce qui mobilise réellement nos partenaires, ce sont les actions concrètes que nous menons sur le territoire. Chaque projet que nous lançons autour du handball est pensé pour avoir un impact social ou sportif, et c’est cette dynamique que nous valorisons. Certains partenaires s’engagent pour soutenir l’ensemble de notre activité, tandis que d’autres choisissent de s’impliquer sur des initiatives ciblées : développement dans les quartiers, insertion, éducation… Ce sont ces leviers d’utilité sociale qui structurent notre modèle coopératif. Nous avons par exemple pu compter sur General Electric qui a financé nos actions engagées dans le cadre du programme Revitalisation. Il s’agit d’un partenariat d’un an, qui permet aux entreprises de s’associer seulement aux projets qui portent leurs valeurs.”
Le rôle des partenaires est parfois couplé au mécénat d’entreprise, avec la constitution d’un fonds de dotation par la SCIC : “Nous voulons engager les entreprises pour le financement de notre fonds de dotation, et cela passe essentiellement par le mécénat, le soutien à des projets à fort impact sociétal. Le fonds de dotation peut aussi jouer un rôle de levier supplémentaire, en nous permettant d’ouvrir des discussions autour de notre utilité sociale et de notre ancrage territorial.”

Lancement de la Fondation Beccia, du nom de la présidente historique du club de l’ASUL Vaulx-en-Velin
Enfin, dans la stratégie coopérative, il faut noter le rôle très spécifique d’Esprit Sport Management elle-même. “Esprit Sport Management symbolise l’héritage de la culture universitaire du club en agissant comme prestataire de formation auprès des Universités, des organismes d’enseignement supérieur et d’autres entreprises. Nous intervenons sur des sujets qui sont tous liés à l’humain, au management et la gestion. Cela représente 194 k€ de revenus sur l’année dernière. C’est prépondérant car cela nous permet de ne pas dépendre du sportif pour viabiliser le projet de la SCIC. Bien sûr, plus on brillera sportivement, plus cela apportera de résonance au projet, mais notre identité première est la formation, conformément à l’ADN du club.”
Les joueuses, double-projet et tremplin sportif
C’est d’ailleurs dans la formation qu’excelle aussi sportivement l’ASUL Vaulx-en-Velin : on peut citer l’ex-internationale française, et championne du monde 2017 Gnonsiane Niombla, formée à l’ASUL de 1998 à 2010. Ainsi qu’Amélie Goudjo, joueuse du club de 1998 à 2003 et capitaine de l’Équipe de France de 2009 à 2011.
La formation revêt un autre caractère essentiel dans le développement des joueuses de la section professionnelle. En effet, le club de D2F ne compte que 7 contrats professionnels, dont un seul temps plein. Une majorité de joueuses évoluent donc avec un double projet, sportif et scolaire, sur lequel le réseau coopératif permet un accompagnement judicieux. Ainsi, le réseau d’entreprises sociétaires peut offrir des solutions d’alternance et de stage aux joueuses au gré de leur parcours scolaire. Plus globalement “c’est un des objectifs du fonds de dotation de pouvoir créer un outil pour accompagner les jeunes filles au-delà de ce dont elles bénéficient en termes de contrat sportif et de les aider sur les dimensions scolaire et de projet professionnel et social.”
Car avec une perspective salariale de 3 à 4.000 euros mensuels en Ligue Butagaz Énergie, moitié moins en D2F, et ce que peut compter comme aléas une carrière sportive, le projet de reconversion reste fondamental dans l’écosystème du handball féminin.
Récompensé ces dernières saisons pour sa gestion vertueuse, l’ASUL Vaulx-en-Velin positionne au cœur de son projet un fort impact sociétal, axé notamment sur la formation et l’éducation. Le modèle coopératif de la SCIC permet aux partenaires sociétaires d’activer leurs engagements auprès de projets concrets sur un territoire en besoin, marqué par les disparités économiques. Soutenue par une communication digitale dynamique et un rayonnement sportif pérenne, la SCIC étend son nombre de sympathisants auprès des passionnés de handball de l’ensemble de la métropole lyonnaise, ce qui a pour objectif de fidéliser les publics les jours de match, tout en améliorant l’expérience vécue, grâce à la création à venir d’un “kop” de supporters. L’ASUL Vaulx-en-Velin démontre ainsi la possibilité d’un modèle économique pérenne du sport féminin professionnel, fondé sur l’ancrage local solidaire.
