Du 1er au 8 novembre, à Riyad, se tiennent les WTA Finals, dernière compétition de la saison sur le circuit professionnel féminin, qui rassemble les 8 meilleures joueuses du monde. Cette édition des Finals est la première à se jouer sous la nouvelle identité visuelle de la WTA, dans un contexte global d’évolution de l’écosystème du tennis féminin, et surtout de croissance, la WTA consolidant son statut de ligue féminine la plus suivie au monde. Quels sont les principaux marqueurs de cette évolution et quelles places occupent les joueuses et les tournois dans la structuration du nouveau modèle économique de la WTA ? Ce sont ces questions auxquelles SPORTPOWHER© vous propose de répondre dans cette nouvelle analyse.
Riyad, vitrine mondiale d’un modèle en mutation
Déjà organisés à Riyad en 2024 depuis la prise de participation du fonds souverain saoudien PIF au sein de l’actionnariat de la WTA, les Finals 2025 marquent le début d’un nouveau cycle stratégique pour la WTA avec les nominations récentes de Jessica Chanderli (ex-FFT) à la tête des droits média, et de Valerie Camillo (ex-NBA et NHL) à la présidence. Ces deux changements dans l’organigramme témoignent de la nouvelle orientation commerciale opérée depuis 2023 avec la création de WTA Ventures, société commerciale constituée en partenariat avec le fonds d’investissement CVC, et ayant pour mission de dynamiser la vente des droits mondiaux, en médias et en sponsoring. Une mission en bonne voie avec une hausse de 25% des revenus de la WTA par rapport à 2024, soit 170 m$.
L’évolution commerciale s’est ensuite matérialisée plus visuellement début 2025, avec le rebranding de la WTA, qui met au cœur de la politique commerciale ses joueuses, en tant qu’actifs marketing, ambassadrices et principaux leviers d’audience, que ce soit en télévision et streaming (+10% d’audience) ou sur les réseaux sociaux (+25% d’abonnés). Le rebranding a été illustré par la campagne “Rally the World” et « This is not a tennis court » présentant les matchs comme des scènes de spectacle global.
“Notre nouvelle identité offre une voix forte et distincte pour raconter nos histoires et présenter la WTA comme une marque mondiale de sport et de divertissement où le tennis féminin rayonne.” Portia Archer, CEO de la WTA (WTA.com, août 2025)
La dynamique commerciale impulsée en 2023 clôt donc avec ces WTA Finals 2025 une stratégie efficace, marquée par le renouvellement, l’extension et la signature de nouveaux contrats de sponsoring, ainsi que des partenariats de diffusion majeurs, en Chine notamment, mais aussi aux États-Unis ou en Pologne. La nomination récente de Jessica Chanderli (ex-FFT) mais surtout de Valerie Camillo (la nouvelle présidente prendra ses fonctions officielles le 17 novembre, une semaine après les finales) reflète l’ambition de la WTA de consolider désormais un modèle économique centré sur le développement du tennis féminin en tant que marque de spectacle global. En effet, Valerie Camillo importe avec elle une expérience et une culture de la fan-expérience et de l’hybridation sport et spectacle, matérialisée par la transformation qu’elle a opérée dans l’enceinte des Philadephia Flyers en NHL (National Hockey League), où elle a dynamisé l’événementialisation des rencontres. Dans le contexte de croissance des affluences en WTA (+ 15% entre 2023 et 2024), la monétisation de l’expérience vécue par les fans et spectateurs représente donc un nouvel axe stratégique majeur.
Les joueuses, premier actif de la croissance
Le rebranding dévoilé au début de l’année par la WTA symbolise l’importance acquise par les joueuses dans la valorisation médiatique du tennis féminin. Seule athlète de tennis du Top 10 des 50 Most Marketable Athletes, Coco Gauff devance par exemple Carlos Alcaraz et Jannik Sinner dans la valeur acquise auprès des annonceurs et des fans. De plus, l’émergence de joueuses issues de différents pôles de la mondialisation sportive (Brésil, Chine, Moyen-Orient, États-Unis, Europe et Europe de l’Est) est un levier central dans la construction d’un réservoir de fans et de partenaires commerciaux sur les différents marchés représentés.
Les top joueuses développent également leur propre écosystème médiatique, à l’image de Coco Gauff, qui a construit sa plateforme “IROC” et engagé la production, en partenariat avec Religion of Sports, d’un large catalogue de contenus sériel et documentaire. Naomi Osaka également a produit un documentaire sur sa dépression post-partum et son retour à la compétition. Ces formats au fort écho communautaire sur les réseaux sociaux, augmentent d’autant plus la valeur stratégique des joueuses pour les tournois et auprès de la WTA, qui peut capitaliser auprès des sponsors et des diffuseurs sur la valeur médiatique et affinitaire des joueuses tout au long de l’année.
Dans sa stratégie de consolidation de marque d’entertainment sportif global, la WTA a donc eu tout intérêt à valoriser et pérenniser le statut des joueuses, notamment en matière de redistribution, avec une hausse tangible des prize-money (249 m$, +13% par rapport à 2024), mais également à travers la sécurisation des revenus garantis pour le top 100 : les joueuses classées dans le Top 100 bénéficient désormais d’un revenu annuel minimum garanti de 500.000 $. Ce dispositif s’ajoute à une politique renforcée de soutien à la parentalité : les joueuses enceintes, revenant après une maternité ou débutant un parcours de fertilité peuvent bénéficier du maintien partiel de leur ranking et d’un accès prioritaire aux aides logistiques et médicales financées par le circuit.

Naomi Osaka, championne et témoin de la maternité dans le sport de haut niveau
Sur la question des revenus, la disparité existante entre la WTA et le circuit ATP reste très importante. Cette inéquité trouve son origine dans les différences de valorisation média des tournois (les revenus WTA représentent seulement 40% des revenus ATP), mais les rapprochements opérés entre les deux organisations vers une potentielle entité “Tennis Ventures”, annoncés par le président de l’ATP Andrea Gaudenzi pourraient « redéfinir la gouvernance économique du tennis mondial et créer une plateforme unique de valorisation du sport professionnel« . Cette consolidation viserait à aligner les grilles tarifaires des tournois et à renforcer la visibilité conjointe des circuits dans les marchés prioritaires.
Les tournois, scènes locales de fan-expériences globales
Les tournois sont donc les principales cibles des transformations marketing et commerciales de la WTA. En élevant le cahier des charges, la “premiumisation” des tournois offre un story-telling renouvelé de la saison tout en améliorant l’identité de chaque étape ou tournoi. Ce story-telling est centré sur les joueuses stars du circuit : on peut prendre en exemple deux des derniers accords de diffusion réalisés par la WTA, aux États-Unis et en Chine.
Aux États-Unis, l’extension du contrat passé avec Tennis Channel (jusqu’en 2032) s’inscrit dans le contexte de la popularité croissante de Coco Gauff et Jessica Pegula, qui sont les deux locomotives d’un puissant mouvement marketing du tennis américain. Conséquence directe, le tournoi de Cincinnati a augmenté le nombre de joueuses invitées, passant de 56 à 96, a augmenté son prize-money de plus de 40% et a réinventé son identité visuelle, en affichant désormais des courts bleus à la place du vert présent depuis sa création en 1896.

Célébrations après la finale Femmes de l’Open de Cincinnati 2025 – Crédit Photo : Justin Sheldon
Le cas chinois est encore plus révélateur de l’imbrication entre joueuse, diffuseur et tournois dans le marché domestique. Suspendue depuis l’affaire Peng Shuai, l’étape chinoise de la WTA est réapparue dans le calendrier à la faveur de l’éclosion de Qinwen Zheng, championne olympique à Paris 2024. Dans le sillage de la top 10 mondiale, de nouveaux accords commerciaux ont été conclus entre la WTA, Tencent et Youku pour la diffusion sur le territoire et les réseaux sociaux (dont Weibo) et ont permis de repositionner les tournois de Pékin et Shenzhen comme piliers du calendrier WTA 500 et WTA 1000, tout comme celui de Wuhan.

Qinwen Zheng, symbole et ambassadrice du retour de la Chine sur la carte du tennis mondial
On constate donc une interconnexion croissante entre la puissance commerciale des joueuses et l’identité des tournois, et leur importance dans le feuilletonnage de la saison WTA. Le renouveau stratégique de la WTA autour de la fan-expérience et centré sur ses joueuses vedettes positionne les tournois comme des “scènes” développées pour maximiser l’impact médiatique des joueuses auprès d’un écosystème global de diffuseurs et de sponsors.
Les Finals, moment apogée de la saison et révélateur de la starification du jeu
Désignées comme “la scène ultime de la saison”, les WTA Finals 2025 incarnent encore mieux la scénarisation du circuit WTA autour de ses stars. Le format de ces finales permet évidemment la mise en avant des joueuses les plus médiatiques, et la répartition même des groupes préliminaires est un appel au story-telling. En effet, les 8 joueuses sont réparties par groupes de 4, chacun nommé d’après une légende du tennis féminin : Steffi Graff et Serena Williams, créant une logique d’héritage avec les plus grandes championnes de l’histoire.
Cet affrontement final est un enjeu très médiatique : en 2024, l’événement a attiré 78 millions de téléspectateurs cumulés, soit 160% de plus qu’en 2023. Au niveau des affluences cependant, le tournoi placé immédiatement après le Six Kings Slam masculin n’a attiré que quelques centaines de spectateurs sur certains jours, dans une arène qui peut en accueillir 5.000. La disparité entre l’affluence et l’attention médiatique témoigne de la priorité accordée aux communautés de fans autour des joueuses quand elles n’évoluent pas sur leur marché domestique de supporters. C’est un déplacement du cœur de valeur vers le reach médiatique et digital. La fan-expérience est en effet axée sur la diffusion de contenu, le storytelling des joueuses et leur influence auprès des sponsors.
Le rebranding et les orientations stratégiques de la WTA pour le cycle post-2025 témoignent de l’importance croissante accordée aux joueuses dans l’écosystème du tennis professionnel féminin. Ambassadrices et actrices du jeu, elles montrent bien que c’est la valeur qu’elles construisent auprès des fans qui est la première variable de la structuration d’une ligue professionnelle.
 
				

