La Liga F, le piège de la locomotive ?
Les demi-finales de Copa de la Reina terminées, il est temps de poser un constat déjà répété depuis 2020 : en Espagne, il y a l’ogre FC Barcelone et les autres. Cette hégémonie sportive pourrait-elle menacer le développement de la Liga F, dont l’essor semble contraint depuis sa professionnalisation en 2021 ?
Une croissance en trompe-l’oeil et confisquée
Avec un chiffre d’affaires en hausse de 27,41 % entre les saisons 22/23 et 23/24, une affluence (+ 13%) et des audiences (+ 24%) en hausse, les indicateurs économiques de la Liga F semblent démontrer une dynamique très positive. Les principaux sponsors du championnat comme Mahou et Solan de Cabras ont d’ailleurs renouvelé leurs partenariats jusque 2027, participant à la valorisation à + 592 000 € des contrats commerciaux recensée dans les comptes de la ligue.
Néanmoins, parmi cette succession de bonnes nouvelles, plusieurs éléments viennent nuancer un enthousiasme déjà peu goûté par les joueuses elles-mêmes : « C’est triste de voir comment d’autres ligues nous dépassent à une vitesse incroyable alors que nous avons le potentiel pour être une ligue de premier plan » a récemment déclaré à The Athletic Aitana Bonmati, double Ballon d’Or du FC Barcelone et de la Seleccion, en ajoutant « Si, avec ces atouts, nous n’avons pas une ligue suffisamment importante, c’est un point à examiner. Nous stagnons, la situation ne s’améliore pas.«
Premier point de friction, la redistribution des revenus de la Ligue. Hérité du modèle de la Liga masculine, le schéma de répartition, s’il comporte une partie égalitaire, favorise mécaniquement les marques déjà installées du fait des clés de 25% sur les résultats sportifs et 25% supplémentaires sur l’exposition médiatique. C’est ainsi que le FC Barcelone et le Real Madrid perçoivent 471 284 € et 404 632 €, les montants les plus importants, alors selon le classement mené par Deloitte, les deux clubs ont généré à eux seuls 20,1 M€ de revenus partenariaux, soit 29% de plus que toute la Ligue (15,55 M€).
Tout en saluant les stratégies commerciales des merengues et blaugrana, on constate donc que les mécanismes de redistribution renforcent des positions dominantes plus qu’ils ne soutiennent l’émulation et la compétitivité du championnat.
Des affluences très polarisées
Si l’évolution de l’affluence cumulée est significative (+ 13%) à plus de 370 000 spectateurs sur la saison 23/24, un regard vers la moyenne offre une perspective là aussi plus nuancée.
Avec 1550 spectateurs de moyenne par match, c’est en effet une croissance très relative que la Liga F démontre dans ses gradins (+ 3,2%), seulement propulsée par l’effectif all-star du FC Barcelone, comme le prouve les affluences moyennes par club :
La très forte polarisation des affluences s’explique notamment par la faible intensité compétitive intra-match, avec un club leader incontestable dont la moyenne de buts par match (4,3, 91 buts en 21 rencontres) élude toute dramaturgie au scénario des rencontres, et donc selon les conclusions apportées par Nicolas Scelles et Christophe Durand, nuit à leur attractivité auprès des publics.
Tensions fédérales et contraintes économiques
Une intensité compétitive qui semble également avoir des répercussions sur l’attractivité auprès des joueuses. Sur la fenêtre hivernale des transferts 2025, l’Espagne est en effet le premier pôle de départ du top 5 européen, avec par exemple les retours anglais de Keira Walsh et Lucy Bronze, tout en affichant une diminution de 15,6 % des mutations entrantes.
La sélection reflète les nouvelles lois du marché des joueuses, avec une progression du nombre d’internationales évoluant notamment en Angleterre (Arsenal, Manchester City, Tottenham). Reflets de la force financière de la WSL, les convocations en équipe nationale témoignent surtout des tensions toujours vives qui ont lieu entre les joueuses et la Fédération. Les plaies ouvertes avec l’affaire des Quinces se sont rouvertes avec l’affaire Hermoso-Rubiales et ternissent évidemment l’attractivité de l’Espagne auprès de sponsors globaux. On notera d’ailleurs l’absence de « namer », contrairement à l’Angleterre, l’Allemagne ou la France.
Des perspectives contrastées
Evidemment favorables compte-tenu du momentum du sport féminin en Europe, les perspectives du développement pérenne de la Liga F sont toutefois mises à l’épreuve de la solidité économique autonome. En effet, deux menaces financières viennent peser avec d’abord la fin de la subvention ministérielle de 7 millions d’euros allouée à la Ligue, et la contestation par la Liga (masculine) de l’allocation de redistribution de 40 millions à destination de la Liga F.
De manière positive, le développement pertinent du haut de la pyramide (Atlético, Athletic Bilbao, Real Madrid, FC Barcelone) peut entraîner une consolidation de la base de fans et de joueuses, vers pourquoi pas la création d’un cercle vertueux de croissance, dont le socle de garanties contractuelles (salaire minimum) permet à de plus en plus de femmes de vivre de leur sport.