Coupe d’Afrique des Nations Féminine 2025, croissance, soft power et dynamique mondiale
En même temps que le tournoi européen qui retiendra une grande partie de l’attention médiatique, va se jouer du 5 au 26 juillet la XVème Coupe d’Afrique des Nations Féminine. Organisée au Maroc, récent 8ème de finaliste de la Coupe du Monde, le tournoi est la vitrine de stratégies nationales, continentale et même mondiale si l’on regarde la structuration des flux de transferts. Focus donc sur des enjeux qui dépassent le cadre sportif.
Le Maroc, agent essentiel de l’écosystème du football féminin mondial
Déjà organisateur du tournoi en 2022, le royaume sera à nouveau l’hôte de la Coupe d’Afrique des Nations Féminine à partir du 5 juillet pour ce qui sera une vitrine spectaculaire pour les infrastructures marocaines à 5 ans de la Coupe du Monde masculine de 2030, mais aussi de l’héritage d’un investissement entamé il y a plus de 10 ans pour faire du pays l’épicentre du football féminin continental.
Le Maroc, sous l’impulsion directe du roi Mohammed VI, a érigé dès 2014 les fondations de son succès depuis les années 2020, dont l’investissement de près de 70 M$ dans la construction de l’Académie Mohammed VI, un complexe d’entraînement et de performance de dernière génération. A sa tête depuis septembre 2024, Nicolas Délépine décrit le volontarisme de la fédération pour expliquer l’avance du Maroc, citant la professionnalisation du championnat (depuis 2020, pour comparaison la LFFP a été inaugurée en 2024), et la rémunération des joueuses de première et deuxième division directement par la FRMF à hauteur de 3500 et 2500 dirhams (330 et 230 euros), avec le solde des salaires à charge des clubs, eux-mêmes soutenus à hauteur de 115 000 euros par an.
Quand on vient ici, on voit que les moyens et les infrastructures sont extraordinaires, et que l’on a un peu de retard en France. – Nicolas Délépine, Directeur du Centre Technique National d’Entraînement de la FRMF
C’est au total un budget de 6 millions d’euros, multiplié par 10 depuis 2015 qui est consacré par la Fédération Royale Marocaine au football féminin (sur les 193 de budget global de la FRMF). Cet investissement témoigne de l’importance accordée au projet féminin pour les dirigeants marocains, dont l’ouverture au monde par la clé du sport est un élément central de la diplomatie, incarnée notamment par Nawal El Moutawakel, championne olympique à Los Angeles ancienne Ministre des Sports et vice-présidente du CIO. Le Maroc organise ainsi, conjointement à la CANF 2025, la CAN Futsal Féminine, les 5 prochaines éditions de la Coupe du Monde U17 Féminine et la Ligue des Champions Féminine. Une manière pour le régime d’accueillir le monde et démontrer son inspiration pour l’émancipation des femmes par le sport et dans la société.
Pour les nations qualifiées, des modèles d’exposition et d’internationalisation variés
Du Nigéria, plus grand palmarès de la compétition 11 titres sur 14, à l’Algérie, les sélections engagées ne s’inscrivent pas toutes dans les mêmes logiques d’internationalisation pour leurs joueuses. Pour les sélections congolaises et algérienne, on recense une très large part accordée aux joueuses évoluant en France, y compris à des niveaux amateurs (D3F) quand l’Afrique du Sud, la Zambie ou le Maroc forment un contingent très homogène de joueuses des championnats domestiques.
Les indices de performance sont logiquement une raison à ces choix, et l’on peut en effet distinguer l’AS FAR ou les Mamelodi Sundowns, deux clubs au palmarès continental déjà riche, pour expliquer la concentration de joueuses domestiques dans les sélections marocaine et sud-africaine. Pourtant, le TP Mazembe, au Congo, est le champion d’Afrique en titre est la sélection congolaise ne présente pas la même concentration de joueuses nationales, tout comme le Nigéria, malgré des clubs comme les Bayelda Queens ou les Edo Queens.
Il faut donc tenir compte aussi de stratégies d’ouverture aux transferts internationaux et le Nigéria nous offre l’exemple idéal.
On observe distinctement, pour les transferts sortants, l’importance des flux issus de la Tanzanie du Ghana, et du Nigéria, sur lequel nous allons nous concentrer.
On observe que 57% des clubs génèrent des revenus issus des transferts, contre 7% au Maroc. Il y a donc une incitation sous-jacente à « exporter » des joueuses, d’autant que la Ligue gouvernante ne pourvoit pas d’aide financière au championnat, constitué par ailleurs essentiellement de sections féminines de clubs masculins, acculturés au « trading » des joueurs vers l’Europe. De fait, parmi la sélection présente à la CANF, seulement 3 joueuses évoluent dans le championnat nigérian, contre 10 en Europe, 7 en Amérique du Nord et Centrale et 3 en Asie.
Au Maroc, c’est donc une situation opposée, avec un très fort soutien étatique et ce sont donc des transferts entrants qui prédominent, témoignant d’une réelle attractivité pour les joueuses.
Le championnat marocain est un tremplin pour les meilleures joueuses locales et étrangères vers les championnats européens – Mouad Oukocha, président du Sporting Club de Casablanca
Quel poids pour l’Arabie Saoudite dans sa stratégie de sport power à destination de l’Afrique ?
Alors que du côté des sélections masculines, on compte 61 joueurs africains à évoluer en Arabie Saoudite, la proportion de joueuses sélectionnées pour le tournoi 2025 jouant en Women’s Saudi League est moins importante, avec entre 10 et 15 joueuses. soit près de 3 fois moins que les joueuses évoluant en France. L’Arabie Saoudite n’exerce donc pas autant d’influence, financière et culturelle, pour les joueuses de football, qui voient plutôt des passerelles vers la Chine, corrélant les relations footballistiques avec les relations économiques des deux continents.
Au niveau marketing même, c’est TotalEnergies qui est le sponsor titre de la compétition, au détriment par exemple d’Aramco, qui investit de façon plus préférentielle à l’échelle mondiale (partenaire de la FIFA et de la F1) voire tout simplement masculine, à l’exemple du remplacement de son engagement avec le Ladies European Golf Tour par son entité-mère, le PIF.
On constate donc une forme de mise en retrait de l’influence saoudienne sur le continent africain en ce qui concerne le sport féminin, alors que celui-ci est un relais majeur de son soft-power (WTA, LPGA, e-sport…).
Une valorisation encore frémissante malgré un fort potentiel sportif
Soutenue par des ambassadrices d’envergure mondiale, à l’image de Barbra Banda la Zambienne meilleure joueuse de NWSL et ex-plus grand transfert du football féminin, la Coupe d’Afrique des Nations Féminine progresse dans sa médiatisation (accord mondial avec IMG, diffusion sur le réseau panafricain SuperSport) ainsi, et surtout sur le niveau sportif engagé.
Vitrine du sport féminin africain, la CANF présente encore une valorisation inférieure à l’AFC Cup (Asie) mais la croissance du prize-money (500 000 $ pour le vainqueur en 2022, 100 000 $ pour les qualifiés) doit permettre des investissements dans chaque pays et accroître ainsi le développement global.
A la faveur de l’engouement domestique et continental, ainsi que des logiques d’empowerment (le slogan de cette CANF 2025 est « Born Winners« ) et culturelles/identitaires, notamment vers l’Amérique du Nord, la CANF possède donc un potentiel de croissance à suivre avec curiosité.