SPORTPOWHER© revient sur les dynamiques majeures qui façonnent le marché des mutations de joueuses : l’explosion des indemnités de transfert et leur lien avec les nouvelles logiques d’investissement ; la transformation du statut des joueuses, désormais considérées comme des actifs stratégiques ; et enfin, la multipolarisation des échanges, qui redessine la géographie du pouvoir dans le football féminin mondial. À travers ces trois axes, c’est une nouvelle architecture du marché qui se dessine : plus dense, plus compétitive, et de plus en plus hétérogène.
Les records successifs, véritable mouvement de fond
Lors de la dernière journée du mercato d’été féminin, le record du transfert le plus cher a été battu… 2 fois. D’abord avec la signature de l’américaine Alyssa Thompson à Chelsea pour 1,34 m€, puis avec l’annonce de l’arrivée de la française Grace Geyoro aux London City Lionesses pour 1,5 m€. Une dernière journée historique, qui referme une fenêtre de mercato estival où le précédent record (établi seulement en février dernier, avec Naomi Girma) a été battu 4 fois (Olivia Smith, Jacqueline Ovalle, Alyssa Thompson, Grace Geyoro).
Ces records ne sont pas un épiphénomène. D’après les statistiques publiées par la FIFA, le montant cumulé des indemnités de transfert a augmenté de 81% quand le nombre de mouvements enregistrés n’a lui progressé que de 7,2%. Les indemnités de transferts progressent donc 11 fois plus vite que les transferts eux-mêmes.

Croissance du total des indemnités de transferts depuis 2021
Leur proportion parmi l’ensemble des mouvements de joueuses atteint désormais 12,9%, contre 9,1% lors du marché estival 2024. Au Top 5 des fédérations les plus dépensières cet été, on retrouve :
- États-Unis (NWSL et Gainbridge SL*)
- Angleterre (WSL 1 et WSL 2)
- Allemagne (Bundesliga Frauen)
- France (Première Ligue)
- Italie (Serie A Femminile)
Un Top 5 cohérent avec l’évolution des droits de diffusion et de l’exposition médiatique liée, qui redessinent les hiérarchies économiques entre les ligues. Ainsi, pour les trois premiers championnats, les investissements des diffuseurs ont connu une croissance spectaculaire :
- En 2024, la NWSL a multiplié par 40 ses revenus TV grâce au contrat avec CBS et Amazon Prime
- En 2025, la WSL les a doublés.
- En Allemagne, leur valeur a été multipliée par 16 sur la saison 2023/24, portée par l’accord avec Magenta Sport
Cette évolution renforce l’attractivité de ces ligues pour les joueuses qui aspirent à évoluer dans des environnements où l’exposition médiatique est maximale, tant pour leur développement sportif que pour leur valorisation commerciale.
Aux Etats-Unis, la dynamique s’est accélérée avec l’engagement d’actionnaires puissants (familles et/ou fonds de private equity) dans les franchises NWSL depuis 2021, qui n’hésitent pas à investir, confiants dans le potentiel de développement du sport féminin et confortés par le modèle de ligue fermée qui favorise la trajectoire de valorisation des franchises. C’est une dynamique que l’on retrouve aussi avec des équipes devenues autonomes ou indépendantes du club masculin, tels que OL Lyonnes ou Chelsea FC Women (renforcé par l’arrivée au capital de Seven Seven Six, le fonds d’Alexis Ohanian au capital) qui développent des projets ambitieux.
Si le modèle de club mixte reste le plus répandu en Europe et peut être très favorable au développement de l’équipe féminine lorsqu’elle est perçue comme un relais de croissance stratégique (Arsenal FC, FC Bayern…), il peut constituer un obstacle ou un frein. Ainsi, le FC Barcelona Femeni qui régnait sur l’Europe, a dû alléger fortement ses effectifs en raison du contexte économique global du club (surtout lié à l’équipe masculine) et de la législation fédérale espagnole sur le fair-play financier au niveau des clubs.
Les transferts payants, signes de la consolidation du rôle des joueuses
Grace Geyoro, dans le transfert record qui la lie désormais aux London City Lionesses, a signé pour 4 ans. Lizbeth Jacqueline Orvalle a signé 3 ans à Orlando Pride, Alyssa Thompson s’est engagée avec Chelsea pour 5 ans, Olivia Smith pour 4 ans… Le rapport “Setting the Pace” de la FIFA avait établi en 2024 que la durée de contrats était pour les grandes équipes majoritairement comprise entre 1 et 3 ans. L’allongement des contrats des joueuses dans les principaux clubs (ou “Tier 1” selon la typologie retenue par la FIFA) est un élément mécanique de l’essor du nombre de transferts payants. C’est aussi un élément bénéfique pour les joueuses par les garanties que cela leur donne.
Sur le plan comptable, des contrats plus longs permettent d’amortir le coût d’achat de « l’actif » sur autant d’années, ouvrant la voie à des investissements plus lourds. Les clubs n’attendent plus que les joueuses soient en fin de contrat pour les recruter ou pour les laisser partir. Car elles deviennent des actifs à part entière dans le modèle économique des clubs et une source de plus-values : Tarciane, transférée pour près d’1 m€ en février 2025 à OL Lyonnes, avait rejoint Houston Dash pour 470 k€ en avril 2024. Alyssa Thompson avait été draftée par Angel City en 2023 après une acquisition de premier choix de draft évaluée à 450 k€.
Ce phénomène de “trading” émergent dans le football féminin se lit dans le (subtil) rajeunissement des joueuses transférées à l’échelle mondiale : 24,2 ans en 2025 contre 24,8 ans en 2021. Pour l’Angleterre malgré un rehaussement cet été, l’âge moyen en 2021 des transferts entrants était supérieur à 25 ans, il est depuis la saison dernière inférieur à 24. Aux États-Unis, la cure de jouvence est plus marquée encore avec une baisse de 2,3 ans de l’âge moyen des joueuses recrutées. En France, cette baisse atteint même 3,7 ans.

Age moyen des joueuses (transferts entrants) en France, aux États-Unis et dans le monde
Enfin, l’augmentation des indemnités de transferts entre les grands clubs traduit l’implication croissante des joueuses dans les stratégies marketing des clubs. Les plus grandes joueuses sont des porte-parole auprès de communautés particulièrement actives sur les réseaux sociaux et auprès des marques : selon le rapport Sponsor United consacré à la NWSL, Alyssa Thompson fédérait près de 177.000 followers et le nombre de posts sponsorisés sur ses différents réseaux sociaux avait augmenté de 4% entre les saisons 23/24 et 24/25. Par ailleurs, elle était la 3ème joueuse la plus sponsorisée de NWSL, avec 9 partenaires individuels, dont Subway, par ailleurs partenaire-titre de la Coupe de la Ligue anglaise. Les championnes représentent donc aussi un investissement commercial pour parler aux marques et aux nouveaux consommateurs de sport, propices à suivre des matchs non pas par affiliation à une équipe, mais à une athlète (source : Wasserman, Parity)
La multipolarisation des échanges, signe de la globalisation du football féminin professionnel
Bien que le marché soit dominé par l’Europe et l’Amérique du Nord, avec 9 fédérations parmi les 10 pays ayant enregistré le plus de transferts entrants, il est important de noter la confirmation de l’émergence de l’Afrique du Nord (Égypte, Maroc) et du Moyen-Orient (Arabie Saoudite, Jordanie) parmi les championnats attirant le plus de joueuses.
Cette nouvelle multipolarisation reste toutefois très hétérogène, avec des flux de transferts payants essentiellement centrés sur l’Europe et les États-Unis.

Multipolarisation des transferts
En Europe, la hiérarchie des championnats reste globalement stable, à l’exception de stratégies ciblées et conjoncturelles. Exemple en Suisse, qui dans la continuité de l’Euro organisé sur son sol, devient le 8ème championnat ayant attiré le plus de joueuses sur cette fenêtre de transferts (42 joueuses, +68% par rapport à 2024).
Chaque marché reste attaché à des zones d’attraction privilégiées, notamment sur les pays frontaliers, témoignant d’une logique de formation ou post-formation. En Afrique, en particulier en Égypte et au Maroc, les joueuses proviennent soit d’un rapatriement de la diaspora, soit des championnats outsiders en Ligue des Champions Africaine, suivant une logique de progression sportive.
Quant au cas saoudien, on observe une accentuation du modèle de vitrine, lié au développement de la Saudi Women’s Premier League. Le championnat a donc pu attirer plusieurs joueuses importantes du football européen et mondial : Amel Majri, Jessica Silva, Dszenifer Maroszan ou Asisat Oshoala. En tout, l’Arabie Saoudite a plus que doublé le nombre de joueuses entrantes : 32 en 2025, contre 14 en 2024. Le profil des joueuses recrutées est similaire à celui du football saoudien masculin : malgré un rajeunissement relatif des prospects, l’âge moyen des joueuses mutées est près de 3 ans supérieur à celui de la moyenne mondiale, indiquant une carrière plus avancée. L’Arabie Saoudite continue d’investir sur le football féminin, dans une stratégie plus globale d’ouverture à sa société intérieure.
Enfin, le marché français présente un fort renouvellement, avec presque autant d’arrivées (50) que de départs (52). Au niveau des départs, les données révèlent un âge plus avancé que pour les arrivées, révélant une stratégie de renouvellement générationnel, en particulier parmi les locomotives lyonnaises et parisiennes. Le contexte économique est hétérogène : impulsées par la surface financière d’OL Lyonnes, du PSG, mais aussi par les nouvelles ressources du Paris FC, les dépenses en Arkéma Première Ligue ont presque atteint le million de dollars (992 k$), mais quelques clubs en instance de cession n’ont recruté aucune joueuse. Une majorité de transferts, gratuits, est interne au marché domestique, à l’image des mouvements de Marie-Antoinette Katoto du PSG vers l’OL Lyonnes, ou de Mathilde Bourdieu du PFC vers l’OM. On constate toutefois une forte internationalisation des territoires de recrutement, de l’Afrique à l’Amérique centrale ou du sud. Cela révèle la structuration des cellules de recrutement et l’émergence de directions sportives dédiées aux équipes féminines : OL Lyonnes, PSG, OM, RC Lens, Paris FC…
Le mercato estival 2025 démontre de manière claire l’augmentation des moyens dans le football professionnel féminin. Toutefois, l’inflation des montants de transferts semble déjà marquer une délimitation très hermétique entre les clubs du “Tier 1” et les autres, capables de soutenir une croissance rapide des revenus réengagés dans l’économie des transferts. Un autre enseignement de cette fenêtre est la perte d’attractivité espagnole, impactée par le contexte économique barcelonais. Cela renforce l’idée d’une régulation séparée des équipes féminines dans les calculs de fair-play financier à l’échelle européenne.