Promu cette saison en Arkema Première Ligue, le RC Lens Féminin installe une marque historique du football français dans l’élite. SPORTPOWHER© a rencontré Andreea Koenig, Présidente de la section féminine du RC Lens, et vice-présidente de la LFFP, pour détailler son ambition ainsi que les initiatives marketing et commerciales qui pavent sa “très longue feuille de route”.
Photo de couverture : Ewen Gavet/Icon Sport
Fort de la ferveur et de l’attachement régional aux “Sang-et-Or”, le club de l’Artois a été capable de réaliser en Seconde Ligue la 5ème affluence française de la saison dernière. Avec pour sa présidente l’ambition de se pérenniser au plus haut niveau afin de développer un modèle économique rentable, soutenable et populaire.
Une vision collective et structurée pour “embarquer” les parties prenantes
“J’ai une chance incroyable, c’est d’avoir l’appui et la vision du président, qui soutient énormément les féminines” commence Andreea Koenig pour parler de son action. Administratrice du RC Lens depuis 6 ans, elle occupe depuis cet été la responsabilité opérationnelle de la section féminine du club. Elle apporte “son énergie et son ambition”, au sein de “son club” et d’un projet qui se structure autour d’un staff dédié. “L’unité est une valeur cardinale du club, que nous mobilisons en embarquant tout le monde autour d’un objectif commun.” L’équipe de direction de la section féminine s’étoffe “au rythme qui doit être le nôtre, selon nos moyens”, en commençant par la structuration du sportif et la formation. Ainsi la feuille de route sur son bureau est rédigée collectivement par elle-même, ainsi que par Sarah M’Barek la coach de l’équipe première, et Laurie Dacquigny, nouvellement recrutée à la formation des féminines, en provenance de l’OL Lyonnes, où elle dirigeait le centre de formation féminin.
Cette stratégie pluriannuelle et définie collectivement sera présentée aux dirigeants et au conseil d’administration du club. Cela “permettrait déjà d’embarquer tous nos partenaires, car le fait d’avoir une vision très structurée et à moyen et long terme est un gage de crédibilité”.

Sherly JEUDY célèbre le premier but du RC Lens en Arkema Première Ligue lors du match contre le PSG au Stade Felix Bollaert . (Photo by Ewen Gavet/Icon Sport) – Photo by Icon Sport
Avant de commencer à définir des objectifs, Andreea Koenig a opéré un audit “de plusieurs mois pour identifier les revenus, leur origine, comment ils sont mesurés, et quels sont les leviers d’actions pour les développer, au niveau des infrastructures ou ailleurs.” La dirigeante, très inspirée par le projet d’Arsenal Women, n’élude pas “l’écart entre les revenus et les coûts” et salue la compréhension par l’actionnaire de la phase nécessaire d’investissement avant d’évoquer la rentabilité, un objectif d’ailleurs rarement atteint dans le football masculin. “Beaucoup de gens demandent au football féminin d’être rentable, alors que le déficit des clubs de Ligue 1 et Ligue 2 mesuré par la DNCG la saison dernière était estimé à 1,2 milliard d’euros” rappelle Andreea Koenig.
Néanmoins, la dirigeante n’occulte pas le devoir de soutenabilité. “Je veux montrer qu’un football féminin populaire, soutenable et à terme, rentable, est possible.” Entre autres leviers de soutenabilité, Andreea Koenig s’appuie sur la formation et les liens avec le territoire, à travers notamment la signature d’une convention de 5 ans avec la ville d’Arras pour la politique de formation du club.
L’importance de définir le modèle commercial et la valeur de l’actif
La soutenabilité repose évidemment aussi sur la progression des revenus, “des lignes de budget à remplir” selon l’expression d’Andreea Koenig. Pour organiser cette progression, le RC Lens n’hésite pas à s’inspirer des réussites des autres clubs : “ce qui est génial, c’est que les gens veulent partager les bonnes pratiques, il y a beaucoup de collaborations, car notre intérêt à tous c’est de développer le football féminin.” En adaptant les politiques commerciales et de billetterie aux plus jeunes par exemple, mais aussi en travaillant avec les partenaires privés et les sponsors, un enjeu qui est soutenu par le partenariat avec l’agence Sportfive : “nous avons réalisé avec Sportfive un état des lieux de nos partenariats, leur situation contractuelle, et nous travaillons à l’estimation de la valeur de l’équipe féminine dans les partenariats couplés.” Un dernier point qui “obsède” Andreea Koenig qui entend développer une méthodologie précise pour cette évaluation : “on peut utiliser une méthode très analytique avec les études de visibilité, en incluant les réseaux sociaux, pour déterminer à combien contribuent les féminines sur ces indicateurs. Dans d’autres clubs, à l’exemple d’Arsenal, l’étude dépasse le seul élément de visibilité pour évaluer l’intellectual property, c’est-à-dire la valeur ajoutée pour l’image d’un club qui possède une équipe féminine.”
Une autre méthode consisterait à demander directement aux partenaires “quelle proportion du montant du partenariat ils souhaitent voir fléchée vers la section féminine”. Une manière d’autonomiser la vente d’actifs pour la section féminine et d’individualiser les actions de la part des partenaires selon leurs objectifs ; “c’est un enjeu extrêmement important dans le cadre du football féminin car il est essentiel de bien mesurer les revenus et les coûts, et l’image de marque”.
Sur la question du bundling, Andreea Koenig est ouverte à tous les montages, mixtes ou non, citant autant l’exemple de Manchester United qui n’autorise que les sponsorings “couplés” car la marque club est trop importante pour être “diluée”, que celui d’Arsenal qui s’associe à une ligne de maquillage pour son équipe féminine dans une logique d’affiliation évidente.
À l’échelle lensoise, il existe 2 partenaires spécifiques (Médiane et Eaux d’Arras), qui mettent en avant les enjeux liés à la lutte pour l’équité, la santé ou l’inclusion dans des secteurs d’activité peu féminisés (à l’image d’Arkema) et qui leur permettent de communiquer sur des audiences plus féminines ou bien sur leurs marques employeurs.
Animer le public et l’identité lensoise, le rappel constant aux racines populaires du football
La saison dernière, le RC Lens a réalisé le record historique d’affluence en Seconde Ligue avec 10.237 spectateurs venus au stade Félix Bollaert pour soutenir les joueuses contre le FC Metz. La preuve d’un attachement populaire au club, indépendamment du genre de l’équipe qui représente les couleurs sang-et-or.
Andreea Koenig entend s’appuyer sur cette ferveur des supporters, auxquels elle a présenté le projet des féminines en personne, accompagnée par Sarah M’Barek, lors de la réunion de leurs différents groupes “car on a besoin d’eux, du public le plus fervent de France, pour soutenir les joueuses”.
D’autant que le RC Lens Féminin disposera pour cette saison, en plus de Félix Bollaert lors des matchs de gala, d’une infrastructure de qualité avec le stade François Blin à Avion (à 3 km de Lens). D’une capacité d’environ 5.000 places, avec deux tribunes debout, le stade François Blin est un outil efficace pour mener une stratégie de billetterie “populaire, en accord avec l’identité lensoise”. Ainsi, Andreea Koenig a déjà annoncé la gratuité des places pour les supporters de moins de 16 ans “qui sont nos fans de demain, ce sont ceux auprès desquels il faut instiller les valeurs d’équité et d’égalité dès le plus jeune âge”. Pour dynamiser encore plus le lien avec les publics jeunes, les joueuses “participeront à des dictées dans les écoles, ouvriront et délocaliseront les entraînements”.
« Je veux montrer qu’un football féminin populaire, soutenable et à terme, rentable, est possible. » – Andreea Koenig
Pour fidéliser ces supporters, plusieurs actions innovantes sont impulsées par la dirigeante. À commencer par la mise en place prochainement d’une bibliothèque dans le stade, en partenariat avec le fonds de dotation du club, pour que les enfants assistant aux matchs puissent repartir avec un livre. Capitalisant sur le caractère plus familial du football féminin, Andreea Koenig travaille à l’intégration du Lampi Club (le club enfants du RC Lens, inspiré par le passé minier de la ville) aux rencontres de Première Ligue et notamment en faisant intervenir sur certains matchs Lampi, la mascotte du club à destination des enfants.
En plus des très jeunes, Andreea Koenig vise le public étudiant avec des “activations pour dynamiser cette cible, en lien par exemple avec l’Université d’Artois qui représente 12.500 élèves. On peut travailler sur des offres buvette, échanger avec les BDE pour animer le parvis avec des groupes de musique… J’ai plein d’idées !”
La buvette est d’ailleurs au centre des idées d’Andreea Koenig : “Le RC Lens doit rester fidèle à ses racines. Le football féminin, à l’image du club, se veut accessible et profondément populaire. À Bollaert, la buvette fait partie intégrante de l’expérience : la Goudale, les frites… C’est une tradition, un repère. Même si un espace VIP verra le jour, je reste très attachée à cette convivialité simple, qui incarne parfaitement l’âme lensoise.”
L’identité populaire est un marqueur qui se retrouve jusque dans le merchandising. Si le maillot de l’équipe féminine n’est pas (encore) disponible en boutique, Andreea Koenig évoque une attention particulière quant au choix du partenaire lifestyle de la section : “Au Paris Saint-Germain, le partenaire lifestyle des filles, c’est Barbara Bui. Nous, à Lens, on ne peut pas, nous sommes à la recherche d’une marque qui offre de l’élégance à nos joueuses hors match, mais à laquelle nos supportrices puissent s’identifier, compte tenu du profil de la région.”
La double responsabilité à Lens et à la LFFP, le liant pour porter le développement de tous les clubs
Andreea Koenig, en plus de son rôle opérationnel au RC Lens, est vice-présidente de la LFFP aux côtés de Jean-Michel Aulas. Ce double rôle lui offre les vertus de la complémentarité du terrain et de la représentativité fédérale. “C’est une opportunité incroyable de pouvoir développer le sport en étant au courant de toutes les problématiques. En voyant tous les jours les difficultés, les obstacles, je sais quels leviers actionner à la Ligue, c’est un gain de crédibilité aussi auprès des autres dirigeants car je fais face aux mêmes batailles qu’eux au quotidien. Mon double rôle me permet de prouver la possibilité d’un modèle du football féminin auprès des dirigeants réunis à la LFFP. Moi je crois à la force de l’exemple, et avec le projet qu’est le nôtre à Lens, avec nos ressources, je crois que si l’on parvient à nourrir l’engouement régional, remplir les stades, faire s’inscrire les jeunes filles à l’école de football, je pourrai convaincre ceux qui n’y croient que le modèle est soutenable.”
Cette double casquette est également un atout pour Andreea Koenig dans la relation avec les joueuses, et les actions qui peuvent être mises en place pour leur accompagnement, y compris à l’échelle nationale. “À Lens, j’ai mené des entretiens individuels avec chaque joueuse, en me concentrant sur leur projet, maintenant et après leur carrière. Et je me rends compte avec cette initiative locale qu’à la Ligue on devrait communiquer davantage avec les joueuses sur le travail opéré par la LFFP pour elles. Et aussi mieux utiliser le témoignage des joueuses sur l’amélioration des ressources et des infrastructures. À Lens, par exemple, nous aurons très bientôt au cœur du centre de La Gaillette, un bâtiment entièrement dédié à l’équipe féminine. À Lens comme dans beaucoup d’autres clubs, les anciennes joueuses reconnaissent toutes que leurs conditions de travail ont radicalement évolué.”
Aux infrastructures qui s’améliorent s’ajoute un niveau sportif en progression constante. Promue en Première Ligue avec son club, Andreea Koenig postule malgré tout au maintien, dans un championnat “qui n’a jamais été d’aussi bon niveau”. Une intensité compétitive qui contribuera naturellement à structurer le modèle économique du football féminin français, aux yeux des dirigeants de clubs comme des partenaires.