An II de la Ligue Féminine de Football Professionnel : enjeux et objectifs
Ce samedi 6 septembre marque la reprise de l’Arkema Première Ligue pour une deuxième saison sous l’égide de la Ligue Féminine de Football Professionnel. La saison inaugurale a été marquée par une hausse des affluences, des records en Première et Seconde Ligues ainsi qu’une compétitivité accrue en milieu de tableau, signe du développement du football féminin professionnel français. Quels sont les enjeux pour consolider la structuration de la LFFP et des clubs ? Quels sont les objectifs de développement, à la fois médiatiques et commerciaux ? Paul-Hervé Douillard, Directeur de la LFFP, partage pour SPORTPOWHER© les ambitions de la Ligue pour cette nouvelle saison.
Une première saison encourageante et des atouts pour progresser
Avant d’évoquer la nouvelle saison, Paul-Hervé Douillard revient sur le bilan de la saison 24/25, retenant comme symbole de l’engouement croissant autour de la Première Ligue « les images du public de La Meinau lors du dernier match de la saison entre Strasbourg et Reims. C’est à la fois révélateur des succès d’affluence obtenus par de nouveaux clubs et de l’incertitude sportive jusqu’à la dernière minute de la dernière journée dans la course au maintien en Première Ligue. »
D’un point de vue structurel, il souligne « la qualité des échanges avec tous les acteurs qui ont témoigné d’une adhésion collective à la stratégie de la LFFP. »
Si la saison écoulée a confirmé l’avance économique de la WSL anglaise, cet écart n’est pas inéluctable : « Nous avons l’ambition de rattraper l’Angleterre en exploitant nos atouts. » Paul-Hervé Douillard en identifie trois principaux :
« Notre coefficient UEFA, qui garantit la présence de 2 clubs en phase de ligue de la Champions League et 3 si le Paris FC se qualifie ».
Les clubs » locomotives » : « OL Lyonnes porté par la vision et l’engagement de Michele Kang, le PSG qui est sans doute une des premières marques sportives mondiales », mais aussi les acteurs plus récents » les nouveaux promus de cette saison et de la précédente – RC Strasbourg, FC Nantes, OM et RC Lens – qui ont tous des très beaux projets pour leur équipe féminine tout comme les nouveaux actionnaires du Paris FC. La LFFP bénéficie donc des ingrédients nécessaires pour optimiser le produit ARKEMA Première Ligue.”
La formation, savoir-faire clé du football français : “La qualité de la formation française va porter ses fruits à court et moyen terme. Le parcours de formation de haut niveau intègre désormais des joueuses dès 13 ans, contre 16 ans auparavant. En renforçant les filières vers le haut niveau et en instaurant des règles imposant l’intégration des joueuses formées localement, nous souhaitons améliorer l’équilibre compétitif du championnat”.
Grâce au dispositif d’agrément des centres de formation, « nous visons une douzaine de centres de formation à court terme répartis sur l’ensemble du territoire « . Y compris au sein de clubs de Seconde Ligue, « division qui favorisera le développement des jeunes joueuses et qui alimente positivement l’Arkema Première Ligue depuis quelques saisons. C’était un point important de la réforme des championnats avec la création en 2022/23 d’une poule unique en Seconde Ligue, véritable passerelle vers le plus haut niveau et une des raisons de l’intégration de la Seconde Ligue à la LFFP. »
2025/2026 : structurer, innover, rayonner
La saison 2025/26 s’annonce comme une étape décisive pour le développement du football féminin français. La LFFP entend consolider ses acquis tout en accélérant la dynamique : renforcer les affluences grâce à des infrastructures modernisées, innover dans les formats de compétition et , avec les joueuses, raconter une histoire capable de séduire un public toujours plus large.
Infrastructures et affluences
La saison 2024/25 a été marquée par l’inscription de deux nouveaux clubs dans le palmarès des meilleures affluences de Première Ligue, dominé historiquement par l’OL Lyonnes et le PSG. Portés par la dynamique populaire de leur promotion et l’histoire des clubs, le FC Nantes et le RC Strasbourg ont produit les 5ème et 7ème affluences de l’histoire de la première division (16.847 et 13.613 spectateurs).
“L’indicateur essentiel, ce sont les affluences. Nous avons plus que doublé le nombre de spectateurs en 2 ans. Après avoir rattrapé la LIGA F, nous visons une nouvelle progression de 50% pour rattraper peu à peu la Bundesliga allemande.”
Pour atteindre ces objectifs, Paul-Hervé Douillard mise sur l’intensification de la stratégie “grands stades”: “Avec OL Lyonnes qui va jouer tous ses matchs au Groupama Stadium, on doit s’appuyer sur les nouveaux promus, l’OM et le RC Lens, et poursuivre le travail entamé à Nantes, Strasbourg, Le Havre. 5 des 10 meilleures affluences de l’histoire ont été réalisées la saison dernière, et surtout, nous avons multiplié par 2 le nombre de matches à plus de 1000 spectateurs. L’arrivée de marques locomotives auprès des supporters permet d’augmenter encore le nombre d’affiches, autour de clubs qui attirent du monde dans les stades. La moitié des équipes évolue désormais dans des grands stades, et sur la saison 25/26, ce seront deux tiers des matchs qui se joueront dans des stades premium, alors qu’en 22/23, seulement un tiers des rencontres était concerné.”
Globalement, les clubs ont compris la nécessité d’améliorer les conditions de jeu : “Les clubs font progresser la qualité globale des infrastructures, ce qui est essentiel, car c’est l’outil quotidien des joueuses. 100% des matchs en Arkema Première Ligue se jouent désormais sur pelouse.”
Cette montée en gamme est un enjeu stratégique pour la LFFP, qui adapte sa politique de labellisation en créant un nouveau label destiné à évaluer les projets d’animation des publics, de billetterie et de fan expérience En ce sens, les clubs accédants ont été accompagnés pour anticiper les problématiques de stades et infrastructures.
Formats de compétition : entre équilibre et innovation
Le format de play-offs, en place depuis la saison 2023/24, a suscité des débats. Si OL Lyonnes, champion incontesté de la saison régulière, a pu y voir une forme d’iniquité et peut-être un désavantage pour sa compétitivité européenne, Paul-Hervé Douillard insiste sur la valeur ajoutée d’un tel système : « Il répond à un besoin de renforcer le feuilleton de la Première Ligue. Sans les play-offs, le récit autour du championnat peut s’arrêter en février. Les dynamiques sportives génèrent une concurrence entre 3/ 4 clubs pour la 4ème place qualificative, et nous espérons renforcer progressivement la course aux autres places. Ce format anime la compétition en augmentant l’enjeu des matchs, vecteur important pour les affluences. Sur la question du calendrier européen, nous avons retravaillé l’espacement des matchs pour cette saison, notamment avec le positionnement des rencontres de Seconde Ligue. »
Alors que la WSL1 anglaise passera de 12 à 14 clubs en 2026/27, le Directeur de la LFFP indique que « des réflexions sont engagées depuis un certain temps sur un passage à 14 équipes mais à la condition que l’on maintienne un équilibre compétitif. Un championnat n’a de valeur que s’il y a une émulation collective. » La LFFP assume une approche pragmatique et évolutive :
« Nous devons rester humbles et agiles face à une économie du football féminin qui évolue rapidement. »
Ces évolutions pourraient à terme concerner les modalités de promotion et de relégation entre les divisions.
C’est notamment cette volonté de renforcer l’émulation entre les deux échelons du football féminin professionnel qui a guidé la création, cette saison, de la Coupe de la LFFP. Son format innovant prévoit des groupes régionalisés mêlant équipes de Première et de Seconde Ligue lors d’un premier tour de quatre journées. La nouvelle compétition poursuit un double objectif, sportif pour “faire émerger de nouvelles joueuses” et densifier le calendrier des clubs non européens, mais également promotionnel “pour conquérir un nouveau public, grâce à la réception systématique par les clubs de Seconde Ligue et au format favorisant des oppositions régionales généralement prisées du public. C’est donc une action de communication positive et une offre supplémentaire de football féminin sur des territoires à développer.”
Avec les joueuses, raconter le championnat
Avec le succès engrangé sur les audiences des matchs diffusés en streaming (+48% par rapport à la saison 23/24), la LFFP veut développer le “feuilletonnage” du football féminin d’élite. “Nous avons mené une étude sur la notoriété de l’Arkema Première League qui montre que le nombre de personnes déclarant ne pas aimer la compétition diminue, tandis que la part de celles qui hésitent à s’y intéresser augmente. Cette incertitude nous semble venir le plus souvent d’un manque de connaissance du championnat et d’informations disponibles. Notre stratégie digitale vise donc à faciliter l’accès à l’Arkema Première Ligue, notamment en faisant vivre notre chaîne YouTube. Nous voulons augmenter notre offre éditoriale avec du contenu magazine et inside afin de créer des rendez-vous supplémentaires sur la chaîne, en plus des matches du vendredi et du samedi, et des résumés du lundi. Nous avons revalorisé le budget sur cet axe, et attendons désormais les propositions portées par les agences média et digitales ayant répondu à notre appel d’offres.”
Cette stratégie sur YouTube s’accompagne d’une dynamisation des réseaux sociaux, avec la mise en valeur de contenus “near live” qui crée la proximité avec les joueuses et les clubs. “Nous avançons avec notre diffuseur Canal Plus et les clubs pour améliorer la ligne éditoriale en facilitant l’accès à des zones mixtes et inside, à travers des prises de parole en vestiaire, dans et à la sortie du bus, en interview avant-match et après-match, en donnant la parole aux entraîneurs. Nous avons besoin d’améliorer la connaissance du produit LFFP et pour cela, il faut que nous mettions plus d’éléments à disposition des consommateurs sur des aspects qui les intéressent, notamment la proximité, la connaissance des joueuses.”
Car ce sont bien les joueuses qui suscitent l’adhésion du public et l’objectif est de favoriser leur participation à sa promotion. “Nous avons signé un partenariat avec une plateforme digitale qui permet de diffuser directement aux joueuses et aux clubs des contenus photo et vidéo issus de nos plateformes. Elles pourraient notamment partager toutes les images qui ont été tournées lors du Media Day, les photos des matchs mais aussi des petits reportages réalisés avec les ressources de la LFFP. La valeur du championnat et sa notoriété passeront par l’émergence de joueuses ambassadrices de leur division. Nous devons davantage nous appuyer sur elles car souvent, ces joueuses-là disposent d’une communauté plus importante que la Ligue elle-même, et nous savons de manière générale qu’en sport féminin, l’attachement s’opère en premier lieu sur les championnes.”
La Seconde Ligue bénéficiera également cette saison d’un outil de promotion important, avec l’officialisation d’un partenariat de diffusion pour 10 matchs sur la chaîne Sport en France, déjà partenaire de La Boulangère Wonderligue (basket) et de la Ligue Butagaz Énergie (handball).
Des revenus en hausse, un soutien de la FFF encore nécessaire
“L’amélioration du produit Arkema Première Ligue” commence à porter ses fruits. La LFFP a ainsi renouvelé le partenariat de naming qui la lie au groupe industriel depuis la saison 2019/20, et conclu un accord avec Betclic, nouveau partenaire officiel de la Première Ligue Arkema.
En augmentant fortement son investissement envers la LFFP, Arkema démontre sa confiance dans la trajectoire de croissance de la ligue. “Le groupe se positionne comme un partenaire du changement. Tout en poursuivant ses actions de communication interne auprès de ses collaborateurs, notre partenaire va déployer une nouvelle stratégie d’activation autour de l’amélioration de la fan-expérience et du renforcement des liens entre clubs professionnels et clubs amateur. Arkema produira également une série de reportages « Inside » centrés sur les actrices et acteurs du championnat (joueuses, mais aussi des team managers, des groupes de supporters…). “
De son côté, Nicolas Béraud, CEO de Betclic, affirme que le groupe de betting « souhaite encourager l’égalité des chances, favoriser l’accès au sport pour toutes et tous et défendre une vision plus inclusive du sport. L’Arkema Première Ligue est un championnat de référence, où s’affrontent des clubs majeurs des grandes compétitions. Nous voulons être là où le sport progresse, où les audiences évoluent, où les passions grandissent. Le football féminin coche toutes ces cases”.
Ces partenariats témoignent du potentiel du marché, mais ils ne suffisent pas encore à assurer l’équilibre économique de la Ligue. Le soutien de la Fédération reste donc essentiel pour consolider le modèle.
C’est aussi dans cette optique que la LFFP déploie de nouveaux mécanismes d’incitation, à travers quatre labels (promotion et valorisation, fan expérience, engagement sociétal, politique sportive). Ils visent à accélérer la structuration des clubs et à élever progressivement le niveau d’ensemble. « Les labels permettent de valoriser les clubs les plus avancés, mais aussi d’inciter les autres à se mettre au niveau. À terme, certains critères pourraient devenir obligatoires et intégrés à la licence club. » En renforçant la structuration interne et l’attractivité du produit, la LFFP prépare le terrain pour attirer davantage de partenaires et crédibiliser son modèle économique.
Cette construction progressive pourrait également permettre d’envisager à moyen ou long terme, lorsque les conditions seront réunies, l’émancipation de la LFFP et sa structuration en tant que ligue indépendante comme devrait le permettre la nouvelle Loi sur l’organisation, la gestion et le financement du sport professionnel adoptée par le Sénat (si elle est votée par l’Assemblée).
Une opportunité plus qu’une contrainte : l’ouverture aux investisseurs
Le contexte économique du football professionnel masculin en France a conduit certains clubs à envisager la mise en vente de leurs filiales féminines. Mais pour Paul-Hervé Douillard, ce phénomène traduit moins une contrainte qu’une attractivité croissante : « S’il y a des acheteurs, c’est qu’il y a un marché. »
Parmi les six à sept sociétés sportives « féminines » nouvellement créées, les modèles diffèrent largement : « Certains souhaitent une cession totale, d’autres une cession majoritaire et enfin la dernière catégorie s’ouvre à des partenaires minoritaires ».
Le modèle de club mixte reste également attractif : “Plusieurs propriétaires tiennent à conserver un club mixte. À Saint-Etienne, Larry Tanenbaum, qui vient de l’écosystème nord-américain, souhaite un club mixte, tout comme le PFC, le PSG ou encore le RC Lens. »
Dans ce contexte, la LFFP assume un rôle d’accompagnement et de facilitation : « Nous avons bien sûr des échanges avec les investisseurs, de manière préliminaire pour les informer sur notre stratégie et notre fonctionnement ou dans le cadre des process de due diligence mais nous n’exprimons pas de préférence pour une stratégie plutôt qu’une autre.”
Cette arrivée d’investisseurs traduit la maturité croissante du marché, renforcée par les efforts de structuration menés depuis deux saisons. L’attractivité des clubs, la qualité de la formation et la montée en visibilité du championnat constituent désormais des atouts décisifs pour séduire de nouveaux acteurs économiques.
Trois clés pour une saison réussie
À l’aube de cet exercice 2025-26, Paul-Hervé Douillard témoigne pour finir de ce qui serait pour lui une saison d’Arkema Première Ligue Arkema réussie :
“Atteindre les objectifs d’affluence, c’est-à-dire maintenir notre rythme de croissance. Ce sera un indicateur vraiment très important de développement. J’aimerais qu’on parvienne à une convention collective pour les joueuses, sur laquelle les points de blocage ne sont plus très nombreux. Et pour le troisième point, j’aimerais qu’on ait un traitement médiatique qui mette en avant les projets positifs des clubs. J’aimerais qu’on valorise les avancées qui sont faites, dans les clubs, par exemple Strasbourg qui construit un bâtiment spécifiquement pour son équipe féminine, les projets de centres de formation, les recrutements de CEO spécifiques dans les structures. Tous ces éléments importants que l’on doit montrer pour qu’une dynamique positive s’enclenche et permette de renforcer la crédibilité du football féminin professionnel français. L‘intérêt du grand public existe, à nous de tout faire pour le conquérir et le faire venir au stade”.