La Saforelle Power 6 entame sa nouvelle saison, après un été agité par les soubresauts économiques de ses clubs. Promu en Saforelle Power 6 cette saison grâce à une wild-card accordée par la Ligue, le club d’Évreux Volley-Ball, autrefois qualifié en Coupe d’Europe (2010 et 2011), a lui aussi connu des difficultés financières il y a 7 ans. Repris depuis 2018 par Nathalie Perret, le club s’est depuis structuré jusqu’à être récompensé par cette invitation à évoluer au plus haut niveau. SPORTPOWHER© a interrogé la présidente du club pour comprendre les ressorts d’un modèle qui conjugue avec succès rigueur budgétaire, ancrage territorial, attractivité partenariale et popularité auprès des supporters.
Le club d’Évreux Volley-ball a bénéficié d’une wild-card d’accession à la Saforelle Power 6, récompensant la bonne gestion financière du club. Pourriez-vous nous en dire plus sur la construction du budget et notamment la consolidation de vos ressources avec la perspective de la promotion en Saforelle Power 6 ?
Quand nous avons repris le club il y a 7 ans, sa situation financière était très déficitaire, environ 280 000 euros. Avec le trésorier, dès la première année, nous avons entrepris de redresser le club, accompagnés par Flavien Rigal, alors entraîneur adjoint, qui est devenu entraîneur principal. Ce fut un vrai travail de consolidation.
Aujourd’hui, notre budget est d’environ 890.000 euros, réparti à parts égales entre les subventions publiques (mairie, département, région) et les partenariats privés, incluant le mécénat, la billetterie, et les autres recettes. Dans le détail, les revenus du club se répartissent ainsi : la mairie apporte 220.000 euros, le département environ 135.000 euros en incluant les immobilisations, et la région 85.000 euros. Du côté privé, le mécénat et les partenariats représentent environ 280.000 euros. Enfin, nous générons près de 100.000 euros de recettes complémentaires grâce à la billetterie, la buvette, les cotisations, le bar et la boutique.
Pour la saison prochaine, nous visons un budget de 1,1 m€. Cela implique un effort collectif : nous avons sollicité les collectivités pour un accompagnement, en répartissant équitablement les besoins entre la mairie, le département, la région et nous-mêmes, car notre exemplarité doit être un moteur pour que les collectivités publiques nous suivent.
Comment parvenez-vous à maintenir l’engagement des collectivités, dans le contexte de contraction des dépenses publiques et des crédits disponibles pour le sport ?
Nous avons mené un grand travail avec les collectivités, dès le mois de février, car le championnat régulier touchait à sa fin. On espérait une qualification en play-offs, mais les résultats sportifs n’offrent pas de certitude, alors on a préféré anticiper. On est allé voir les collectivités pour leur présenter notre projet et négocier une augmentation de leur soutien. On a proposé une répartition équitable de l’effort entre la mairie, le département, la région et nous-mêmes. Chacun devait contribuer à hauteur de 50.000 euros, ce qui représentait un effort total de 200.000 euros à mobiliser. La région a accepté d’augmenter son partenariat de 50.000 euros. Le département, comme dans beaucoup de territoires, a revu son budget à la baisse d’environ 10 %, mais continue à nous accompagner sur les immobilisations, notamment avec une prise en charge totale du challenge vidéo. Quant à la mairie, les discussions sont encore en cours, mais lors de notre dernier échange, elle s’est engagée sur une enveloppe de 30.000 euros pour l’année civile 2025.
Nous avons conscience que n’est pas le cas pour tous les clubs, et nous avons la chance d’être bien reçus par les collectivités. Le dialogue est toujours constructif, et on arrive à avancer ensemble.
Au-delà du soutien affiché par les collectivités, qu’est-ce qui construit l’attractivité du club d’Évreux auprès des partenaires privés ?
Quand nous avons repris le club il y a 7 ans, nous comptions environ 43 partenaires. Aujourd’hui, nous en comptons 110, et ils nous le rendent bien. Cela crée une vraie ambiance autour du club qui est renforcée par le bouche-à-oreille. Les partenaires passent de bons moments avec nous, notamment lors des soirées organisées les soirs de match, qui sont de véritables événements. À Évreux, l’offre de divertissement en soirée est peu concurrentielle donc le volley est une sortie naturellement attractive pour les familles.
Nous avons aussi tenu à redynamiser l’image du club en travaillant sur ses valeurs et en construisant une offre événementielle, qui va au-delà du volley. Nous proposons de véritables moments de convivialité et d’échange à nos partenaires.
- Les partenaires sont partie intégrante du public – Crédit : Arthur Monfrais
- Soirée partenaires sous le rappel des maillots des joueuses – Crédit : Arthur Monfrais
Parmi les échanges entre partenaires, est-ce que l’on peut citer par exemple les activations menées dans le cadre de leurs opérations de promotion ?
Les partenariats s’engagent principalement autour des formes classiques de visibilité : places offertes, logos sur les supports, présence lors des événements. Mais nous avons aussi développé des partenariats dits « à échanges ». Par exemple, tous les logements que nous mettons à disposition des joueuses sont meublés, et nous avons un accord avec une entreprise de garde-meubles qui stocke ces équipements. Ce partenariat comporte une part financière, mais aussi une mise à disposition en nature, ce qui nous rend bien service.
Nous avons également des échanges avec des traiteurs ou des concessionnaires automobiles, qui nous fournissent des prestations ou des produits en contrepartie de visibilité ou d’implication dans la vie du club.
Enfin, certains partenaires ont soutenu individuellement certaines joueuses, notamment dans l’accompagnement de double-projet sportif et professionnel, pour identifier des opportunités de temps partiel ou d’alternance. Les partenaires sont très bienveillants avec les joueuses et s’engagent avec elles au-delà du sportif.
« Les partenaires construisent une visibilité active qui crée du lien avec le public ». Nathalie Perret
Est-ce que les partenaires et sponsors s’engagent également dans la fan-expérience et participent à l’animation des soirs de match ?
Le parrain du match, c’est vraiment un moment d’interaction entre les partenaires et le public. Souvent, ce sont les collectivités qui jouent ce rôle : par exemple, la région organise des jeux-concours ou des distributions de cadeaux pendant les rencontres.
Mais les partenaires privés s’investissent de plus en plus : ils proposent des goodies, mettent à disposition des jeux pour les enfants, et contribuent à l’ambiance générale. Ils construisent ainsi une visibilité active, qui crée du lien. Je pense que c’est gagnant-gagnant : le public est ravi et les partenaires sont mis en avant auprès de spectateurs enthousiastes.
En parlant du public, combien de spectateurs parvenez-vous à capter, et quel est leur profil ? Un certain nombre de clubs travaillent sur le principe de la gratuité, est-ce que c’est votre cas ?
À la salle omnisports Jean Fourré, où nous devrions jouer préférentiellement cette saison, nous avons atteint un pic de fréquentation à 2 300 personnes. Au gymnase du Canada, le “Chaudron”, nous jouons systématiquement à guichets fermés, et d’ailleurs notre record de spectateurs dépasse la capacité même de la salle. Cet attrait, on peut l’expliquer par nos tarifs de billetterie qui sans être gratuits sont accessibles : 6 euros pour les adultes, 3 euros pour les enfants entre 10 et 18 ans. Le club bénéficie d’un vrai engouement populaire.
Même en dehors de notre chaudron, nous cultivons cette proximité : les joueuses sont accessibles, elles vont vers les gens, participent à des activités en ville, et sont très présentes dans le quotidien des habitants. On les voit sur les bus, dans les vitrines des commerçants, partout. Cette proximité, permise aussi par une très forte proportion de joueuses françaises (80% de l’effectif) auxquelles on peut s’identifier, s’ajoute à leur bienveillance et leur sourire, et tout cela contribue fortement à la notoriété du club. Et en plus, elles jouent bien, c’est parfait !

Animation du public avec les couleurs du club – Crédit : Évreux Volley-Ball
Pour capitaliser sur cet enthousiasme que l’on partage avec nos publics, nous avons entamé l’année dernière une réflexion collective sur l’image du club. C’est l’ensemble des parties prenantes du club, des bénévoles aux salariés, qui ont élaboré ensemble le nouveau logo, conçu pour redynamiser notre image et mieux concerner les publics, qui sont très diversifiés. On accueille tout le monde : des enfants, des familles, des seniors. On mène aussi des actions avec des EHPAD, des maisons de retraite, des centres sociaux… Il n’y a pas de cible unique, et c’est ce qui fait la richesse de notre public.
- Nouveau logo du club – Crédit Joris Hauselmann
- Univers graphique du club – crédit Joris Hauselmann
Revenons à présent sur le lien avec le territoire et les collectivités qui vous soutiennent. Vous êtes un acteur phare du sport normand de haut niveau, est-ce que cela vous oblige à mener des actions au niveau local ?
Quand je suis arrivée au club, personne ne nous avait jamais demandé de mener des actions sur le territoire. La question principale était : est-ce que les collectivités allaient continuer à nous soutenir, malgré la dette importante qui était la nôtre ? C’était une période délicate. Notre tout premier rendez-vous en tant que nouveaux dirigeants était avec la présidente du tribunal du commerce, et je dois dire que c’était assez stressant. Elle nous a regardés, et nous a dit : « Je suis sûre que vous allez remonter ce club. C’est un très beau club, j’ai confiance en vous. » Elle nous a aidés en nous plaçant sous procédure de conciliation, ce qui était l’un des seuls leviers juridiques à sa disposition. On est ressortis de son bureau avec une lettre de consignation, fiers et déterminés à reconstruire le club.
Avec la confiance reçue, nous avons multiplié les rendez-vous avec les collectivités pour évoquer la continuité des partenariats qui nous liaient. Je me souviens d’un échange avec un représentant du département auquel j’avais avoué mon inexpérience dans le volley, et que j’ai interrogé : “Vous me parlez de partenariat, c’est super, mais moi, qu’est-ce que je vous donne en échange ?” Il m’a répondu qu’il n’y avait pas vraiment d’attente précise. Alors j’ai proposé qu’on mène des actions dans les collèges, avec les jeunes pendant les vacances, ou qu’on fasse intervenir les joueuses. Il a trouvé l’idée excellente et c’est comme cela que nos actions territoriales ont débuté.
On a commencé par des interventions dans les collèges, puis les écoles primaires ont elles-mêmes commencé à nous solliciter, pour des tournois ou des témoignages sur la vie de joueuse professionnelle. On a répondu présent. On travaille aussi avec des associations comme A.L.E., un centre social de quartier, pour sensibiliser les habitants à l’alimentation et au petit-déjeuner. On participe également à des campagnes comme Octobre Rose. Ces actions ne sont pas toujours formalisées par des conventions. Ce sont souvent des demandes ponctuelles, et quand on a de la disponibilité, on répond favorablement. C’est une démarche volontaire qui fait partie de notre engagement à tisser du lien avec les acteurs du territoire.
Bien sûr, on mène aussi beaucoup d’actions avec nos partenaires privés : after-works, petits déjeuners à thème, événements tout au long de l’année. Cela nous permet de faire rayonner la ville, le département, et plus largement la Normandie, qui n’est pas historiquement un bastion du volley, donc c’est important de la faire exister par ce sport. C’est une belle mission. Le sport permet de transmettre des valeurs, de créer du lien, et plus on agit, plus on reste proche de la population. C’est d’ailleurs un cercle vertueux qui participe à faire venir le public à nos matchs.
Justement, sur cette question du public, vous nous avez évoqué sa grande diversité. Y a-t-il une stratégie particulière liée à la communication pour maintenir l’attractivité auprès des spectateurs?
Quand nous avons repris le club, il n’y avait aucune stratégie de communication. Nous avons pu compter sur Romane Ruiz à nos débuts, joueuse du club et diplômée en journalisme, pour nous aider à la création des affiches. C’était du bricolage, mais comme on dit souvent à l’EVB : on se débrouille toujours pour faire ce qu’on veut, même avec les moyens du bord.
Il y a deux ans, on a franchi un cap. Le club entamait un nouveau tournant, avec une montée en première division. Même si on ne gagnait qu’un set, le public vivait ça comme une victoire en Coupe du Monde. On est redescendus ensuite, mais on voulait capitaliser sur cette dynamique. L’un de nos projets prioritaires était donc de recruter un salarié pour structurer notre communication. Émeline a rejoint le club, et c’est elle qui gère tous les contenus sur Instagram, Facebook, et parfois LinkedIn. Elle s’occupe aussi des événements, des visuels, des publications. Moi, j’aime lui proposer mes idées issues des déplacements dans les autres clubs, mes réflexions. Elle me répond, valide, infirme, et on échange comme ça. Mais c’est elle qui pilote notre communication.
Nous entretenons aussi une relation essentielle avec la presse quotidienne régionale. Chaque semaine, le club fait l’objet d’un article: soit une interview de joueuse, soit un retour sur les résultats du match. On a souvent des demi-pages, parfois des pages entières. Dans les journaux, il y a toujours un espace dédié à l’EVB dans la rubrique sport, et c’est ce qui nous permet d’être toujours connecté à la population locale.
Vous bénéficiez cette année d’une wild-card, comment travaillez-vous à la pérennité du projet en Saforelle Power 6 ?
Sur le plan structurel, je pense qu’on est solides. On a mis en place beaucoup de choses, année après année, et aujourd’hui, on coche un bon nombre de cases. Des collègues entraîneurs ou dirigeants me disent souvent : “À l’EVB, vous êtes super bien structurés, mais il faut y aller maintenant !” Ce n’est pas la structuration qui nous a poussés à répondre à la wild-card, mais c’est vrai qu’on avance avec méthode, sans dépenser que ce qu’on n’a pas. Je crois que c’est lié à mon profil de professionnelle déconnectée du volley. J’aime beaucoup ce sport, bien sûr, mais je viens d’un autre univers et cette distance, ce dépassionnement me permet de garder la tête froide. L’envie de gagner ne prend jamais le dessus sur ma capacité à prendre des décisions rationnelles.
Aujourd’hui, le club compte 17 salariés et une cinquantaine de bénévoles. L’EVB est vraiment ancré dans le territoire. Ce n’est pas juste un club de sport : c’est une structure qui fédère, avec des gens qui s’engagent sans avoir forcément d’enfants dans le volley, juste parce qu’ils aiment le club.
Côté organisation, on a un entraîneur, un entraîneur adjoint, un staff médical, un manager, une chargée de communication, une mascotte… La base est là. Ce qu’on aimerait développer maintenant, ce sont des moments de convivialité plus réguliers, et surtout, renforcer notre lien avec certaines entreprises. Car le nerf de la guerre reste le financier. Et dans le contexte économique actuel, c’est un point de fragilité. La structuration est bonne, mais l’objectif pour la saison à venir est de consolider l’équilibre budgétaire, seul gage de notre pérennité au plus haut niveau.




