Quelles perspectives de revenus pour les nageuses
Avant les JO de Paris, Mary-Ambre Moluh, engagée sur les épreuves de dos, déclarait “Vivre de mon sport ? Là où en est la natation en France, ça me paraît impossible.”
Depuis le 11 juillet, les Championnats du Monde 2025 se sont ouverts à Singapour et vont voir s’affronter plus de 2500 athlètes, dont 50% de femmes, dans 6 disciplines : natation, water-polo, plongeon, natation artistique, natation en eau-libre et plongeon haut. Et la question est toujours d’actualité : de quoi vivent les nageuses de très haut niveau? Pour couper court à tout suspense : de très peu. Comment expliquer ce constat et quelles pistes proposer pour permettre aux championnes de vivre de leur passion ?
“99% de galériens”
Cette expression un peu provocante résume globalement la situation des nageurs dans le monde, hommes et femmes. Celles et ceux qui parviennent à intégrer les listes élites de leur fédération bénéficient d’une allocation fédérale : jusqu’à 30.000 $ en Australie, jusqu’à 40.000€ en France, jusqu’à 39.000 $ aux Etats-Unis. Mais l’admission à ces listes est extrêmement sélective car indexée sur le classement mondial : le plus souvent, faire partie du Top 16 mondial de sa discipline. On retrouve par exemple 4 nageuses françaises qui ne font pas partie des 26 recensées dans la liste de nageuses Elite, mais qui sont qualifiées aux Championnats du Monde 2025.
Les revenus des nageurs sont complétés par les primes de médailles, qui représentent 11.683 $ en moyenne selon les travaux du Pr. Jill Harris, avec une légère différence entre les hommes (11.900$) et les femmes (11.400$) du fait d’un plus grand nombre de médailles d’or gagnées par les hommes. Avec 20.000$ par médaille d’or aux Championnats du Monde, on comprend que seuls les plus grands palmarès bénéficient de revenus liés à la natation. Une première exclusion qui en appelle une autre, puisque les sponsors ne s’intéressent qu’aux médaillés : “Ce sont les médailles qui font que les sponsors viennent” abondait Camille Lacourt dans les colonnes de Ouest-France en 2024.
À l’échelle française, les clubs ne peuvent, à de très rares exceptions près, pas recruter les nageurs avec un contrat annuel, et les rares qui offrent cette solution (Etoiles 92, Cercle des Nageurs de Marseille) plafonnent les contrats en CDD à hauteur de 2.000 € mensuels.
À l’image de Marie Wattel (Université d’Arizona), certains ont fait le choix de s’entraîner aux Etats-Unis, au sein du prestigieux système universitaire (NCAA). Et malgré les récents avantages liés à la loi NIL (Name, Image & Likeness, une loi autorisant les universités à rémunérer les athlètes-étudiants selon leurs droits d’image), les revenus sont marginaux : 191 $ de revenu médian, près de 3 fois moins que pour l’ensemble des autres sports.
La natation de haut niveau n’est donc pas un sport professionnel, comme le confirme d’ailleurs la Cour des Comptes : “La natation et le water-polo sont des sports amateurs” selon un rapport d’observations sur le Cercle des nageurs de Marseille de 2020.
La difficile recherche de sponsors
“Une très vaste majorité de nageurs de très haut niveau ne perçoivent pas de revenus de la part de sponsors” constate le Pr. Jill Harris, qui a en plus recensé dès 2020 “un écart substantiel de genre dans les revenus de sponsoring, qui malgré un plus grand nombre de médailles et un nombre de sponsors plus important, perçoivent une somme totale plus faible grâce à leurs collaborations commerciales” (The Economics of Aquatic Sports, Springer). Une réalité vécue par la nageuse australienne Emily Seebhom, triple médaillée d’or à Pékin, Londres et Tokyo et pour qui les règles internationales pénalisent la recherche de partenaires : “En tant que nageurs des équipes nationales, nous ne pouvons pas porter de logo de nos sponsors personnels. C’est pourquoi personne ne veut nous sponsoriser”.
Si la dernière affirmation est à nuancer, il apparaît clairement que l’absence de visibilité est un frein majeur à la recherche de sponsors individuels, notamment en ce qui concerne les équipementiers (TYR, Arena, Speedo…).
Pourtant la discipline nourrit un attrait populaire immense lors des très grands événements : 2ème sport le plus regardé aux JO 2024 aux Etats-Unis, avec 31% de spectateurs, et en France avec 24% des téléspectateurs (source INJEP 2025). Mais entre les années olympiques, la médiatisation des grandes compétitions est faible. Les Championnats du Monde 2025 de Singapour ne sont par exemple diffusés que sur BeIn Sports 3 et la plateforme numérique france.tv.
De manière concrète, pour Singapour 2025, la sélection féminine française de natation est composée de 10 nageuses. 5 disposent de partenariats avec des marques.
Quelles opportunités pour le sponsoring des nageuses ?
Les pistes pour rapprocher les sponsors et les nageuses existent pourtant et se déclinent de différentes façons, en fonction des objectifs stratégiques des marques et des récits valorisés par les nageuses.
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Les partenariats avec des marques du secteur sportif ou nautique
Affichées sur les réseaux sociaux des championnes ou déclinées sur d’autres supports, les marques partenaires légitiment leur savoir-faire en le faisant incarner par une athlète. Parmi les sponsors qui collaborent avec les nageuses, on retrouve les compléments alimentaires, l’équipement technique ou de musculation, le matériel de récupération.
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Les partenariats avec des marques non issues du secteur sportif
Certaines marques peuvent vouloir toucher les communautés des nageuses comme cible stratégique. L’INJEP qualifie ainsi dans l’étude de 2025 les amateurs de natation comme des profils plus féminins et à plus fort pouvoir d’achat. Un persona déjà spécifique des supporters de sport féminin. Cette cible est idéale pour les marques d’horlogerie/joaillerie notamment, à l’instar de Tag Heuer qui collabore avec Summer McIntosh, ou des marques “skincare”, comme E.L.F avec Anastasia Pagonis.
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L’ancrage local et les retombées presse
En 1 mois, la nageuse choletaise Zia Dupont, 1000 followers, a obtenu un minimum de 40 mentions en PQR pour sa qualification en Championnat de France, ainsi que des relais d’opinion qualifiée au sein de la cellule de communication de l’Université d’Angers où elle est étudiante. Une exposition médiatique importante que les championnes peinent à valoriser dans leur démarche de sponsoring (par manque de compétences et de temps), mais que les partenaires sont amenés à saisir pour consolider leur ancrage territorial.
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Le pacte de performance
Un dispositif à destination des entreprises (et des particuliers) créé par la Fondation du Sport Français qui permet via le mécénat de soutenir une nageuse tout en garantissant sa reconversion professionnelle. Un dispositif saisi par le Groupe Atland pour soutenir Béryl Gastaldello, championne du monde 2022.
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Le soutien des entreprises aux engagements des nageuses
Les entreprises peuvent identifier des territoires d’expression commune, comme la protection marine, l’éducation, l’égalité hommes-femmes. En invitant les nageuses à des prises de parole en entreprise ou bien en accompagnant leurs propres projets associatifs, les entreprises peuvent porter ces thématiques auprès des collaborateurs. Elles les associent également aux valeurs de persévérance, d’exigence et de résilience, des sujets essentiels à la culture interne d’entreprise. Un format de partenariat qu’a adopté le Groupe Onet avec Marie Wattel, qui soutient la championne et son association Sport et Partage.
Pour les annonceurs et les championnes, les opportunités existent donc. Quel que soit le dispositif engagé, il est essentiel d’avoir défini en amont la stratégie à suivre et l’histoire qui doit être racontée avec la nageuse. Les championnes d’excellentes alliées en story-telling et comme le confirment les données permettent aux marques d’acquérir une affinité plus forte avec les publics touchés.