Porté par Grady Burnett et Geoff Prentice, la création de “Project B”, une nouvelle compétition de basket-ball féminin a été officialisé début novembre avec l’annonce du recrutement de Nneka Ogwumike, la joueuse All-Star du Seattle Storm. S’en sont suivies les signatures de nombreuses joueuses dont l’internationale française Janelle Salaun. Pour comprendre ce qui se cache derrière le nom de code “Project B”, et comment il pourrait impacter le basket féminin américain et mondial, SPORTPOWHER©, décrypte la genèse, le fonctionnement et les implications de la nouvelle secousse dans l’écosystème croissant du sport féminin professionnel.
Co-rédigé par Quentin Boissard et Camille Thomas
L’identité des fondateurs : entre technologie, fonds d’investissement et pop-culture sportive
Project B a été cofondé par Grady Burnett et Geoff Prentice, des personnalités dont l’ambition professionnelle est à la hauteur du potentiel du sport féminin. Le premier est l’ancien directeur des ventes et des opérations en ligne chez Google, ancien vice-président des ventes et des opérations mondiales chez Facebook et cofondateur de Bow Capital. Le second est le cofondateur et ancien directeur de la stratégie de Skype et cofondateur d’Atomico, une société de capital-risque de premier plan basée à Londres en Europe. La dualité entre technologie et private equity du parcours des deux fondateurs schématise parfaitement les principaux leviers de croissance de l’écosystème sportif féminin depuis 2022.
L’idée de Project B est née, il y a plus de 2 ans, de la volonté de ses cofondateurs de créer une ligue sportive révolutionnaire mixte et d’un constat symptomatique : il y a environ 3 milliards de fans de basketball dans le monde et environ 90 % d’entre eux se trouvent en dehors des États-Unis.
Dans un premier temps, le projet est centré sur la création d’une compétition féminine et les fondateurs ont choisi Alana Beard, défenseure émérite de WNBA draftée en 2004, championne de WNBA en 2016 avec les Los Angeles Sparks et, membre du Hall Of Fame pour diriger les opérations basket-ball de la ligue en préparation.
Sur le Podcast Good Game, elle a expliqué : “Il est clair que cette opportunité présente deux atouts que les investisseurs du secteur technologique adorent : une demande énorme (des milliards de fans de basketball) et une offre fragmentée (le labyrinthe du câble et du streaming nécessaire pour regarder du sport (ou quoi que ce soit d’autre).” Atouts auxquels on peut ajouter la cible de la Génération Z en quête d’authenticité et de proximité avec les athlètes.
Grady Burnett et Geoff Prentice ont initié une levée de fonds, pour laquelle ils ont annoncé un objectif de 5 milliards $, soutenue par des investisseurs issus des fonds de private equity, puis par des athlètes dans un mouvement typique de la nouvelle financiarisation du sport professionnel : Sloane Stephens et Novak Djokovic (tennis), Steve Young (football américain) ainsi que Candace Parker et Josh Childress (basket).
Pour rappel, les valorisations (réelles, multiples des revenus et du potentiel consenti par les investisseurs) des franchises WNBA atteignent en cumulé plus de 3,5 milliards $ (selon les éléments fournis par Sportico, soit 269 M$ par franchise). Et Unrivaled culmine à 340 millions $.
Construire un spectacle international de basket-ball en s’adressant au monde entier
Pour s’adresser mieux à ces fans, Burnett, Prentice et Beard ont imaginé un modèle de ligue à étapes mondiales, organisée “comme un championnat de Formule 1” où 6 équipes de 11 joueuses sont constituées d’après les sponsors qui les nommeront. Le format à seulement 6 équipes a vocation à “densifier et concentrer les talents sur le parquet et offrir à chaque match un spectacle comparable à une finale WNBA”.
Les équipes s’affronteront au cours d’un championnat qui traversera un minimum de 7 villes-étapes (3 en Asie, 3 en Europe et 1 en Amérique du Nord ou du Sud). Chaque étape accueillera un tournoi de 5 matchs à l’issue desquels la meilleure scoreuse sera récompensée. Quant à la fin de saison, elle devrait être inspirée du Super Bowl dans un rappel à la culture sportive américaine.
L’identité internationale, qui se retrouve également dans la variété des joueuses déjà recrutées, permet aux fondateurs de positionner Project B comme un produit global, capable de satisfaire les communautés de fans du monde entier.
La première saison du championnat féminin de Project B, qui devrait débuter en Novembre 2026 et se terminer en Avril 2027, amène une véritable réflexion sur l’identité des concurrents de la future ligue. Concurrence frontale avec Unrivaled, tournoi court se déroulant de janvier à mars ? Ou bien avec la WNBA, bien que les calendriers semblent permettre une cohabitation, la WNBA se jouant de mai à octobre ? L’exemple de Diana Taurasi en 2015, qui ne s’était pas engagée en WNBA grâce à un contrat très lucratif à Ekaterinburg lui permettant de ne pas cumuler les deux saisons, montre que le décalage calendaire n’est pas forcément le marqueur d’une entente entre deux organisations sportives. La réaction de la WNBA, qui propose une pré-saison avancée à mi-mars, témoigne en tout cas de l’importance de la question du calendrier dans la relation avec les joueuses.
Un modèle économique centré sur les championnes
L’ambition de Project B est très claire : signer les meilleures joueuses et basketteuses les plus marketables de la planète. Au-delà de l’attractivité financière, Project B offre un mode de rémunération compétitif et hybride, fondé sur une proposition d’un salaire de 2 millions $ minimum et pouvant dépasser les 10 millions $ pour les stars qui rejoindraient le projet. Les joueuses recrutées se verraient offrir en plus des actions dans la société Project B.
« Offrir aux fans du monde entier une meilleure accessibilité et une plus grande proximité à leurs championnes préférées. » – Grady Burnett
Alors que les négociations salariales (CBA) patinent sérieusement entre la WNBA et le syndicat des joueuses qui portent la revendication très médiatique “Pay Us What You Owe Us”, l’évocation de rémunérations aussi élevées montre clairement l’ambition de Project B auprès des championnes. Dans ce contexte, le rôle de Nneka Ogwumike, multiple All-Star et présidente de la WNBPA (syndicat des joueuses), et première “recrue” officialisée par Project B, symbolise l’importance du dialogue à mener avec les joueuses et leurs intérêts particuliers. Opportuniste, Project B offre un discours particulièrement flatteur envers les championnes : « Rien n’égale ce que nous proposons à ces joueuses. Il ne s’agit pas d’arrogance, mais simplement de leur permettre de recevoir la juste récompense de leur contribution et de leur investissement quotidien” (Alana Beard).Le co-fondateur explique comment le modèle économique (encore assez opaque) de Project B rend possible cet investissement massif sur les rémunérations des joueuses : “Nous n’avons pas à construire de nouvelles arena. L’immense majorité de l’argent que nous levons peut ainsi revenir aux joueuses. Nous avons différentes sources de revenus, à la fois via les sponsors des équipes, les redevances versées par les villes hôtes, ainsi que plusieurs autres centres de recettes.”
Cette compétition semble donc devoir reposer sur le succès des autres ligues à former des stars et sur un modèle léger en infrastructures qui permet de proposer des offres très attractives à un petit nombre de joueuses sur une courte période.
La volonté de créer des plateformes pour les joueuses
Centre de la répartition de la valeur produite, les joueuses seraient aussi au centre de la valeur créée et du branding de Project B. “Nous considérons le projet comme un moyen de façonner les athlètes en tant que personnalités qui dépassent le sport, et d’offrir aux fans du monde entier une meilleure accessibilité et une plus grande proximité à leurs championnes préférées” disait Burnett en octobre. Project B représente également un réel intérêt pour la carrière sportive de ses joueuses en termes d’image de marque et de développement d’une communauté mondiale associée à une visibilité sportive démultipliée, en particulier pour les joueuses libres.
En plus du format itinérant qui permet de toucher les fans au cœur de leur marché, Project B devrait s’appuyer sur une stratégie digitale très active. Le recrutement de Sophie Cunningham, dont les comptes TikTok et Instagram affichent plus de 3 millions d’abonnés, démontre par exemple l’ambition de Project B de s’appuyer sur de puissantes communautés sur les réseaux sociaux.
Le second levier de recrutement est celui de l’ancrage à des marchés stratégiques comme l’Asie avec Li Meng, star du championnat chinois et ambassadrice du basket sur le continent, l’Europe avec la star française Janelle Salaün et l’internationale lituanienne (et ex joueuse de l’ASVEL) Juste Jocyte. Le recrutement de Nneka Ogwumike répond aussi à cette logique par rapport au marché africain. Enfin, le dernier levier est un levier culturel et affectif avec les recrutement des superstars du basket féminin américain, symbolisé par Alyssa Thomas, Jonquel Jones et la rumeur Diana Taurasi, meilleure scoreuse de l’histoire de WNBA.
L’analogie faite par les fondateurs du Project B à la Formule 1, au-delà du format itinérant, du modèle des équipes sponsorisées et de la multiplication des icônes sportives, s’appuie sur la même volonté de construire un produit global de l’entertainment, avec une stratégie éditoriale d’ampleur. Exemple typique de l’inspiration des fondateurs, le circuit féminin de Formula 1 Academy a notamment fondé sa notoriété en co-construisant des contenus avec Netflix, TikTok et Instagram. Les inventeurs de Project B envisagent un modèle similaire de “plateforme fluide de monétisation des droits médias” centrée sur le mobile et le streaming.
Cette plateforme serait une opportunité supplémentaire pour les joueuses de promouvoir leur identité marketing. Un atout que pousse par exemple Sloane Stephens, l’une des championnes ayant investi personnellement dans Project B : “en tant qu’athlète, je sais l’importance de prendre le contrôle de sa marque personnelle”.
La capacité à mobiliser le story-telling autour des joueuses sera donc un facteur-clé essentiel pour la popularité et la monétisation des contenus produits par Project B. Dans une ligue sans équipe locale, les supporters ne pourront s’identifier qu’aux joueuses, renforçant leur sentiment d’appartenance et, à l’inverse, la valeur marketing des joueuses autour d’une communauté fidèle. Sur le marché spécifique du basket féminin, la ligue de basket 3×3 Unrivaled, dont la stratégie 100% digital a été un large succès, peut être un exemple à suivre.
La place du Project B dans le marché américain et international
La puissance commerciale et médiatique de la WNBA reste un atout important dans la valorisation du basket féminin sur le territoire américain. Les transformations majeures de la NCAA induites par les droits NIL (Name, Image & Linkeness) sur la professionnalisation des équipes et des athlètes, ainsi que sa popularité croissante, y compris sur le plan des audiences, définissent le championnat universitaire comme un autre acteur économique incontournable.
Sur le plan national, Project B apparaît plutôt comme une création en concurrence avec la WNBA, la NCAA étant plutôt un tremplin vers la professionnalisation complète des joueuses. Les propositions contractuelles, notamment la question de l’exclusivité demandée ou non aux joueuses recrutées, seront un point d’éclaircissement fondamental.
Le format inédit proposé par Project B positionne la compétition directement sur le marché mondial. Si les marchés asiatique, africain et sud-américain semblent être libres de concurrence, l’Europe quant à elle est en pleine recomposition de son marché basket, avec les cohabitations futures de l’Euroligue (et sa “deuxième division” l’Eurocoupe) et peut-être un jour la WNBA Europe. En effet, dans une conférence organisée en novembre 2025 par Sports Business Journal, le vice-commissioner NBA Mark Tatum a bien annoncé des discussions pour l’expansion outre-atlantique de la WNBA après 2027. Le circuit Project B, qui prévoit 3 étapes européennes, s’inscrira donc dans un marché international concurrentiel, auxquels s’ajoutent les championnats nationaux (dont La Boulangère Wonderligue) et les compétitions européennes. Outre les ajustements calendaires, cela implique une concurrence non pas sur les joueuses, mais dans la fragmentation du public. En outre, la multiplication des marques imposera une réflexion sur la lisibilité des compétitions pour les fans de basket féminin.
Le basket-ball féminin est un nouvel outil de soft power mondial
Une autre compétition américaine de basket féminin a eu lieu sur le vieux continent : la NCAA. Organisé à Paris depuis 2022, le Oui Game ouvre la saison universitaire américaine et en est la vitrine pour le marché européen. Car le basket féminin américain a acquis une attractivité globale (14 basketteuses dans le top 150 des sportifs les plus “marketables” contre 11 basketteurs) et le poids culturel de la balle orange en fait un véhicule nouveau du soft power à l’échelle mondiale.
Le format itinérant de Project B positionnerait la ligue dans un rôle nouveau d’ambassadeur du basket féminin professionnel, en offrant la rencontre entre les meilleures joueuses internationales et des publics issus de différents continents. Une stratégie à rebours de la WNBA qui entend maintenir le territoire nord-américain comme le marché dominant des compétitions mondiales.
Enfin, la stratégie d’internationalisation pourrait servir les agendas de soft power sportif des nouveaux acteurs mondiaux, en axant des intérêts nouveaux vers le sport féminin, un axe souvent négligé par les puissances diplomatico-sportives. Le dévoilement des villes-étapes, notamment asiatiques, permettra d’en apprendre beaucoup plus.


