Michel Poussau (CRO, World Rugby) : “La Coupe du Monde 2025 fixe un nouveau standard pour le sport féminin”
Avec un nouveau format à 16 équipes, des objectifs d’affluence et d’audience record ainsi qu’un nouveau modèle de commercialisation, la Coupe du Monde de Rugby 2025 qui débute le 22 août en Angleterre s’annonce comme un “game-changer” pour le rugby féminin. SPORTPOWHER© s’est entretenu avec Michel Poussau, Chief Revenue Officer à World Rugby.
En introduction, pouvez-vous nous expliquer le rôle de World Rugby dans l’organisation de la Coupe du Monde Féminine 2025 (RWC25) qui commence le 22 août en Angleterre ?
« Les éditions 2023 (hommes) et 2025 (femmes) de la Coupe du Monde de Rugby représentent chacune la 10ᵉ édition de ces tournois et ont énormément évolué au fil des années.
Après 2023, nous avons choisi de changer de modèle et World Rugby organise désormais directement la compétition via un comité d’organisation local, créé en partenariat avec England Rugby et financé par UK Sport (pour la RWC25). Cette entité est chargée de mettre en œuvre la plus grande et la plus ambitieuse Coupe du Monde féminine jamais organisée, en collaboration étroite avec nos équipes à Londres et Dublin. »
Quelles sont les évolutions les plus significatives entre les éditions 2021 et 2025 ?
« RWC25 est d’une tout autre dimension par rapport à l’édition 2021 jouée en 2022 en Nouvelle-Zélande sur seulement trois sites. Nous accueillons désormais 16 équipes (12 en 2022), avec au moins une représentante de chaque continent, le Brésil étant qualifié.
Huit villes hôtes à travers l’Angleterre accueilleront la compétition. 95 % de la population anglaise vivra à moins de 200 km d’un site. Nous voulons que cette Coupe du Monde soit la plus accessible de l’histoire. C’est aussi une stratégie d’ancrage territorial, pour stimuler la participation et créer des liens locaux durables.
Nous bénéficions de la dynamique globale du sport féminin (Note : lire notre décryptage du rapport Deloitte sur la croissance économique du sport féminin), particulièrement forte en Angleterre (Note : double victoire des anglaises en football à l’Euro 2022 en Angleterre et à l’Euro 2025). Et le rugby féminin s’est imposé comme un sport en forte croissance, avec la Coupe du Monde comme événement phare pour les fans comme pour les marques et les diffuseurs.
Tous les acteurs ont compris l’importance de cet événement générationnel et s’associent à cette dynamique. Les partenaires veulent en particulier saisir l’opportunité de se connecter à une nouvelle audience, tout en capitalisant sur les publics traditionnels du rugby. Cette double connexion est un positionnement unique dans le paysage sportif mondial. »
L’autre changement majeur, c’est la dissociation des droits commerciaux entre la Coupe masculine et la Coupe féminine. Pouvez-vous nous en parler ?
« Le fait de découpler les droits a été déterminant et a permis de positionner le tournoi féminin en tant qu’actif majeur.
Marques et diffuseurs viennent désormais avec une véritable intention, et non plus parce que les droits féminins sont attachés aux droits masculins. Ils sont présents, s’engagent et activent leurs droits avec ambition et un objectif de ROI.
Cette dissociation des droits nous donne de la flexibilité pour concevoir des partenariats adaptés aux objectifs des marques et des tournois, que ce soit sur le féminin, le masculin ou sur les deux volets. Nous pouvons ainsi structurer des relations plus solides, plus pertinentes, avec des activations spécifiques.
Les offres de sponsoring ont ainsi été pensées « sur-mesure », loin des anciens packages standardisés. L’accent a été mis sur des activations pertinentes, l’engagement des fans et des programmes de soutien au développement, pour toucher les familles et de nouveaux publics. Chaque marque est singulière et a des objectifs différents. Grâce à ce nouveau modèle, elles peuvent optimiser leur impact et la valeur du partenariat en fonction de leurs priorités et KPIs.
Nous avons ainsi développé un portefeuille de partenaires et diffuseurs ciblés et motivés et surtout alignés avec la vision et l’ambition que nous avons pour ce tournoi et pour le rugby en général. Nous avons ainsi un mix d’acteurs historiques du rugby, de marques désireuses de soutenir ce moment générationnel et de marques en particulier en Europe qui souhaitent profiter d’un été sportif féminin exceptionnel (Euro + Coupe du Monde Féminine). »
Pouvez-vous partager quelques chiffres clés sur l’édition 2025 ?
« Globalement, tous les indicateurs de revenus sont au plus haut historique, témoignant de l’intérêt croissant et exponentiel pour le sport féminin, avec le rugby en tête de proue.
330 000 billets ont déjà été vendus, un chiffre sans précédent, et nous visons encore plus une fois que le tournoi aura débuté. Nous sommes également ravis de la dynamique du programme RWC Experiences (programme voyage et hospitalités) avec des ventes record de packages que nous maîtrisons complètement avec notre partenaire STH. Il existe un engouement sans précédent, lié à l’innovation et à la personnalisation de nos offres premium pour le public du tournoi.
Côté partenariats, les revenus ont augmenté de + 300 % depuis 2021, avec plus de 20 partenaires aujourd’hui engagés, entre marques BtoB et BtoC.
S’agissant des droits médias, la progression est de 500%, grâce à des accords solides dans les marchés principaux combinés à une exposition optimale notamment en France et en Angleterre, TF1 et à la BBC assurant une large diffusion linéaire. En complément, RugbyPass TV, la plateforme détenue et opérée par World Rugby, diffusera gratuitement tous les matchs non télévisés sur chaque marché, afin d’assurer une accessibilité maximale et d’éviter tout « marché noir ». Nous sommes confiants : ce sera l’édition la plus regardée de l’histoire. La compétition sera accessible dans plus de 250 millions de foyers dans le monde. Voyons jusqu’où nous pouvons aller, mais nous sommes très optimistes.
Rendez-vous après le tournoi pour le bilan complet – mais nous avons déjà atteint tous nos objectifs commerciaux ! »
La RWC25 arrive dans un contexte d’élan général pour tout le sport féminin. Des athlètes comme Ilona Maher génèrent un engagement mondial. Comment World Rugby capitalise sur cette dynamique ?
« Les joueuses sont nos meilleures ambassadrices. Nous déployons une stratégie active pour valoriser nos stars actuelles et futures : elles sont au cœur de notre marketing, on les aide à raconter leur histoire, à construire leur communauté, à travers nos canaux (réseaux, contenus, matchs…).
Nous collaborons avec elles et leur fournissons des extraits de matchs et des contenus qu’elles peuvent diffuser sur leurs propres réseaux. Nous intégrons aussi des créateurs de contenus dans leurs équipes.
Les fans de rugby féminin sont attirés par les personnalités, l’authenticité et les récits. C’est pourquoi les joueuses sont centrales dans notre communication. Elles veulent jouer ce rôle et ça fonctionne. Plus les joueuses sont engagées dans cette démarche de valorisation et visibilité, plus les fans sont nombreuses et nombreux et plus les tournois et le rugby en général en bénéficient. Permettre aux joueuses de se promouvoir à leur façon, d’incarner le tournoi selon leur style, c’est ce qui renforce crédibilité et authenticité. »
Comment attirez-vous de nouveaux publics et de nouvelles marques dans un sport encore jeune sur de nombreux marchés ?
« Les audiences du tournoi féminin sont plus jeunes et plus féminines que celles du tournoi masculin. Nous avons cherché à structurer un portefeuille diversifié de partenaires – marques grand public, marques guidées par l’impact notamment B2C – qui parlent à notre audience et à celles que nous cherchons à atteindre. Tous partagent une conviction : le sport féminin est une plateforme d’engagement et d’impact incroyable !
Nous mobilisons également nos partenaires historiques qui n’étaient peut-être pas aussi engagés sur le sport féminin pour les associer désormais à une stratégie plus globale et cohérente de soutien au rugby féminin et masculin confondu.
Notre stratégie n’est pas de copier le modèle masculin. Nous étudions les besoins spécifiques des fans du rugby féminin et adaptons nos expériences et nos discours dans notre communication et sur les lieux des événements.
C’est un équilibre entre pédagogie et expertise pour réussir à s’adresser à tous les fans, qu’ils soient spécialistes ou nouveaux venus dans le sport. Et comme le public aime les joueuses, nous mettons en avant leurs histoires à travers tous nos canaux. »
Pour revenir à la RWC25, avez-vous construit sa commercialisation autour d’un plan dédié à cet événement ou plus largement dans le but d’ouvrir un nouveau cycle pour toutes les compétitions féminines ?
« Dans le contexte actuel de croissance accélérée du sport féminin, il n’est pas simple de se projeter sur du long terme. Nous avons évidemment en ligne de mire les éditions 2029 en Australie et 2033 aux États-Unis et certains de nos partenaires se sont déjà engagés jusqu’à la Coupe du Monde 2029, preuve de leurs convictions profondes en la croissance de ce segment.
Chaque Coupe du Monde a sa propre histoire. En 2025, nous vivons un moment clé pour le rugby féminin et plus largement pour le sport féminin. Tous les records sont battus et un nouveau standard est établi pour l’avenir. Donc oui, c’était cohérent de construire la RWC25 comme une entité à part entière, la 1ère sous ce nouveau modèle, mais qui ouvre la porte à de nouvelles pratiques dans la commercialisation et dans la “consommation” du rugby féminin, et c’est sur ces bases que plusieurs partenaires se sont déjà engagés sur plusieurs éditions. »
Le merchandising est également un levier important pour créer un héritage. Quelle est votre stratégie pour 2025 ?
« Nous avons un partenariat de long terme avec Fanatics, leader mondial dans ce domaine, et nous avons conçu avec eux une gamme de produits à la hauteur de l’ambition du tournoi et des attentes des fans. Là non plus, nous n’avons pas voulu prendre ce qui fonctionne côté masculin et faire un copier/coller pour le tournoi féminin. Pas question de “pink it and shrink it” (Note : le “pink it and shrink it” dénonce le fait de reprendre des équipements masculins, réduire les tailles et ajouter la couleur rose en prétendant créer une collection femmes sans vrai travail d’adaptation à la cible féminine). Nous avons réfléchi à la diversité des publics qui soutiendront 2025, afin que notre offre merchandising y réponde pleinement, en ligne comme sur site pendant la compétition. »
Au-delà des chiffres de revenus, qu’est-ce qui d’après vous signera le succès de la RWC 2025 ?
« Nous voulons que ce tournoi marque un tournant non seulement pour le rugby en Angleterre mais aussi pour le sport féminin dans le monde entier.
Nous visons un impact global, sur la pratique, sur les ligues professionnelles, sur la notoriété des joueuses.
Notre programme « Impact Beyond 2025 » incarne cet objectif : renforcer l’équité, enrichir les communautés locales, inspirer à tous les niveaux du jeu. La RFU (note : Rugby Football Union, fédération anglaise de rugby à XV) mène aussi son propre programme national, « Impact 25 », pour encourager la participation des femmes et des jeunes filles. »
Y a-t-il des innovations spécifiques qui pourraient transformer la manière dont le rugby féminin est consommé ?
« Oui. Nous travaillons avec nos partenaires (comme Capgemini) sur des innovations en diffusion et en expérience numérique, adaptées au public du rugby féminin, mais pour en savoir plus, il va vous falloir être encore un peu patients ! Nous collaborons aussi étroitement avec les commentateurs et diffuseurs pour mieux expliquer le jeu, accompagner et embarquer les nouveaux publics et raconter les histoires des joueuses.
Nous avons aussi dévoilé un nouveau trophée, mélange subtil de tradition et de modernité qui met en avant le parcours d’une pionnière du rugby féminin, un bel hommage rendu possible grâce au soutien de certains de nos partenaires. »
Justement, comment s’assurer que la valeur générée bénéficiera au rugby féminin à long terme ?
« Notre programme “Impact Beyond” est structuré autour de nombreux piliers pour élargir les opportunités et accélérer la croissance du rugby féminin après 2025.
World Rugby investit massivement dans le développement du rugby féminin. Les revenus issus de ce tournoi et d’autres compétitions alimentent notre plan stratégique, dont l’un des axes majeurs est précisément cette croissance.
Plusieurs partenaires financent aussi des programmes à impact : Gallagher avec l’Académie Haute Performance, Capgemini pour le leadership féminin, Allwyn pour le bénévolat… Et des marques grand public comme Unilever, Volvic, O2 ou One Stop activent des campagnes autour du tournoi.
Notre stratégie de proximité, avec 8 stades répartis sur le territoire, est aussi un élément clé dans la construction de l’héritage de l’événement. »
Selon vous, quelle sera la prochaine grande étape pour le rugby féminin à l’échelle mondiale ?
« L’évolution du calendrier est en marche avec de plus en plus d’équipes et de joueuses professionnelles à travers le monde, Les WXV Global Series* seront de retour, offrant aux fédérations des matchs réguliers et de haut niveau et favorisant également le développement d’opportunités commerciales pour chacune d’entre elles.
Nous nous projetons aussi vers les coupes du Monde 2029 (Australie) et 2033 (USA), avec la volonté de capitaliser sur ce que nous construisons en 2025 pour renforcer durablement la dynamique mondiale.
Les États-Unis sont un nouveau marché stratégique. Les récentes rencontres à Kansas City et Washington ont attiré des foules records. Le potentiel de développement est immense, et nous déploierons des efforts sur ce marché dans les années à venir. »
* Le WXV est une compétition organisée par World Rugby et rassemblant 18 équipes regroupées en 3 divisions.