Ligue A Féminine, « engager un écosystème » pour progresser
La saison 2023/24 a vu les équipes françaises être performantes en Europe, avec une finale en Challenge Cup (C3) pour les Neptunes, un Final 4 en Cup (C2) pour les Mariannes 92, et deux autres équipes, les Angels de Béziers et le Volero Le Cannet, présents en quarts de finale, validant la progression sportive globale du volley féminin français.
A quelques semaines d’une nouvelle saison, les challenges restent néanmoins nombreux, car les équipes engagées en Ligue A F demeurent dans une relative précarité, en témoignent les difficultés rencontrées par les Neptunes de Nantes ou les Burdis de Mérignac cet été.
Avec un budget moyen d’environ 1,5 m€, mais une forte ventilation entre les locomotives Volero, Mulhouse, Nantes* et Levallois-Paris, et les autres clubs, le modèle économique de l’élite du volley professionnel féminin est en effet contraint par des éléments structurels, des charges liées au transport aux infrastructures d’équipement en passant par la question de la formation locale. Malgré ces difficultés, les opportunités se profilent, avec une progression continue des affluences, une intensité concurrentielle renouvelée et l’essor des partenariats commerciaux (+8% entre 2022 et 2023).
Des situations financières contrastées et à la pérennité non garantie
« Le volley est le sport professionnel le plus paritaire, avec des écarts budgétaires entre clubs masculins et féminins les plus faibles du sport français » avance Philippe Peters, président des Mariannes 92. De fait, que ce soit en Marmara SpikeLigue ou Ligue A F, les décisions de rétrogradation administrative de la part du gendarme financier de la LNV ont touché les clubs masculins (Rezé, St Jean d’Ilac) que féminins (Mérignac, Aix-Venelles), même si les deux clubs féminins ont pu interjeter appel et figureront bien parmi les engagés en première division.
La DNACG avait ainsi publié ses inquiétudes dès la fin de saison 2022/23, en décrivant des situations nettes globalement aggravées, puisque les résultats d’exploitation « se ventilaient entre 7 clubs déficitaires pour -710 K€ et 4 bénéficiaires pour +56 K€ ». Ces résultats viennent impacter directement les fonds propres, puisque 4 clubs (sur 11 engagés) étaient en négatif. Mais les difficultés ne doivent pas occulter les bonnes performances, puisque l’on recensait 4 bons élèves dont la situation nette dépassait le seuil des 10% du budget en 2023.
« Le volley, un sport sous-valorisé et sous-médiatisé »
Parmi les bons élèves à la fois sur les plans sportif et économique, le club de Levallois-Paris, les Mariannes 92 dont le président Philippe Peters revendique un ambitieux projet de développement, pour répondre à la sous-valorisation et au sous-financement du volley professionnel français.
Nous avons un projet en 3 étapes qui est cohérent avec ce que j’imagine du volley-ball féminin.
Donc étape n°1, survie et stabilisation du Club et des Mariannes en 2019-2022, dont les années de Covid 2020-2021. Étape n°2, structuration et leadership en France 2023-en cours, avec un nouveau staff sportif et système de performance, un rapprochement avec Levallois pour jouer au palais des sports Marcel Cerdan et accueillir 2000 spectateurs et plus, un nouveau nom de Club Levallois Paris Saint-Cloud et Mariannes92, et un premier titre de championnes de France. Restent à construire les fonctions support et le meilleur centre de formation
Et puis étape n°3, développement européen qui nécessitera des moyens significativement plus élevés
Pour assurer son projet, le club parisien a une première singularité, son statut. Une SA constituée dès 2013 pour dissocier « une association sportive [section amateur] qui ne portait aucune dette, et une société qui portait la dette en question, alors qu’encore aujourd’hui la plupart des clubs conservent le statut associatif mais incluent une section professionnelle« . Une « grave erreur », selon l’ancien associé chez Ernst&Young, qui serait « à l’origine des nombreux dépôts de bilan tous les ans« .
La section professionnelle peut ainsi compter sur une équipe de « 3, 4 salariés mobilisés sur la billetterie, la commercialisation et le contrôle de gestion » et le soutien de partenaires B2B et institutionnels pour constituer « un système sportif, un club où il fait bon jouer et une réputation sur le marché« . L’équilibre entre ressources privées et subventions publiques est un exercice délicat pour tous les clubs, alors qu’en 2023, les fonds publics représentaient 51% des recettes pour les clubs de Ligue A F, contre 37% de partenariats et seulement 4% de recettes spectateurs.
Les partenariats, un écosystème à conquérir
Sur le volet des recettes spectateurs, la question de la fréquentation est évidemment centrale. Ainsi, si les affluences progressent, avec une moyenne de 1540 spectateurs sur les matches de play-off en 23/24, en hausse de 2,3%, il faut noter d’une part la forte variabilité d’un club à un autre, avec Terville qui a accueilli 522 spectateurs lors de son match contre les Mariannes 92, alors que le Volley Mulhouse Alsace a pu compter sur 3687 spectateurs dans son palais des sports. Tributaires de leurs infrastructures, les clubs doivent aussi « faire de la pédagogie contre la culture de la gratuité » parmi les fidèles des matches. Pour Philippe Peters, « la capacité à changer les publics, hors des seuls passionnés de volley, comme l’a fait la Fédération et comme on l’a vu sur les Jeux Olympiques » est un levier essentiel. Autre levier, la délocalisation lors de grandes affiches, une opportunité à explorer, mais génératrice de coûts « de l’ordre de centaines de milliers d’euros » qui alourdiraient des budgets de fonctionnement déjà chargés (+21 % des frais de structure, +6% des frais de déplacement en 2023 selon la DNACG).
Alors que les subventions des collectivités territoriales semblent être au maximum des capacités publiques, le principal levier de croissance (+16% entre 2022 et 2023) des clubs de Ligue A F est donc bien la commercialisation d’offres B2B, avec deux logiques distinctes qui se font face.
D’un côté, une logique de multiplication de petits tickets, comme celle du Volley Mulhouse Alsace, dont les réseaux sociaux promeuvent plusieurs dizaines de PME, avec des tickets d’entrée faibles. Une stratégie rendue possible par la (relativement) faible concurrence locale sur le plan du sport professionnel, qui positionne le club comme un maillon central du tissu d’affaires territorial. De l’autre côté, la stratégie revendiquée par Levallois-Paris de partenaires moins nombreux, mais aux ressources plus élevées.
« Nous, club de volley à Paris, ne pouvons pas être ce « magnet » local, il y a trop de concurrence, le cinéma, le théâtre, l’opéra, le PSG, le rugby [le basket-ball aussi], donc moi je crois plutôt à la capacité à trouver entre 5 et 10 entreprises avec un ticket d’entrée plus fort, et puis un très gros sponsor, pourquoi pas partenaire titre, namer, qui va nous rapprocher des échelles en vigueur dans les plus gros marchés du volley européen, comme l’Italie, où Imoco Volley Conegliano, champions d’Europe en titre, qui ont un budget significatif grâce aux entreprises de vins et prosecco de la région .«
Car la concurrence européenne a d’autres moyens pour attirer les talents des joueuses. Si le salaire moyen annuels en France est inférieur à 30 k€, les clubs italiens, ultra-dominateurs en Coupes d’Europe (champion en titre en C1, vainqueurs de 3 des 4 dernières éditions de la C2 et C3) proposent entre 3 et 5 fois plus.
« En termes de de performance, en termes d’opportunités, de sport-spectacle en termes de création d’écosystèmes à faire pour les entreprises, pour les institutionnels, le volley-ball féminin peut viser autant, voire mieux que le masculin, avec notamment les véhicules RSE«
Philippe Peters, Président des Mariannes 92
Mais pour le président des Mariannes 92, le volley-ball féminin français a du potentiel à fructifier. « On a un sport qui est télégénique, spectaculaire, qui véhicule bien les valeurs de convivialité. Sur les offres VIP, on constate que les billets premium ont plus de succès que les places sèches, preuve que il y a de l’engouement. Mais l’investisseur français est suiveur, un peu frileux, c’est difficile de les lancer s’ils n’ont pas de lien direct avec le club. Dans l’argument du ROI, le return doit être qualitatif, une dimension qui commence à être perçue vis-à-vis des vecteurs RSE. Mais le quantitatif est trop flou, alors que pour 1€ misé, même si on ne le retrouve pas forcément à la fin de la saison, pour moi c’est évident que ça va rapporté 10€ à moyen terme. »
De fait le volley féminin est dans une dynamique de forte croissance, avec +41% de fréquentation sur la Nation’s League, une locomotive américaine capable de faire se rassembler 92 000 spectateurs en championnat universitaire et le lancement en grande pompe de la League One Volleyball Federation et de la Pro Volleyball Federation, soutenues par les équipementiers, les investisseurs et des artistes.
L’engouement post-jeux et les succès inspirants des équipes nationales permettent enfin de croire (si les infrastructures peuvent absorber les inscriptions) à une croissance renouvelée du volley-ball français.