Depuis plus de vingt ans, les Flammes Carolo façonnent un modèle désormais reconnu dans le basket féminin français. Sportivement, avec une Coupe de France en 2025 et plusieurs campagnes européennes, mais aussi sur le plan économique, en construisant des relations pérennes avec l’ensemble du territoire ardennais. Depuis 2022, le club a ajouté un nouvel atout stratégique, en obtenant la gestion de l’exploitation de son arena. L’entretien de SPORTPOWHER© avec Guillaume Créty, Directeur Adjoint des Flammes Carolo, témoigne de l’évolution du club, tout en précisant ses orientations stratégiques et marketing pour continuer d’attiser le feu du basket féminin en Champagne-Ardennes.
Vous avez repris la gestion de l’Arena et signé un naming avec la discothèque La Guinguette. Concrètement, comment se répartissent les coûts d’exploitation, les recettes et les revenus liés aux spectacles organisés dans la Guinguette Arena ? Le club perçoit-il une part de la billetterie issue des spectacles ?
Lorsque nous avons échangé avec les collectivités, le maire Boris Ravignon, également président d’Ardenne Métropole, nous a expliqué que les subventions avaient atteint un plafond. La solution retenue a été de nous confier la gestion de l’Arena via une délégation de service public, pour une durée de 5 ans. La collectivité n’avait pas les moyens d’animer la salle en dehors des matchs, alors que nous étions présents au quotidien et en mesure de lui donner une nouvelle dynamique.
Nous avons saisi cette opportunité, même si le Covid a retardé le lancement des spectacles. Une fois le contrat stabilisé, nous sommes partis à la recherche d’un namer, avec un principe clair : si nous trouvions un partenaire, 100 % du naming revenait au club. La salle était restée sans nom depuis la fin de son précédent naming avec la Caisse d’Épargne. L’identification d’un nouveau partenaire s’est révélée plus complexe que prévu, mais finalement, un acteur important du territoire, déjà partenaire du club et propriétaire de la discothèque La Guinguette, a souhaité associer son établissement à l’Arena. D’un point de vue marketing, j’avais quelques réserves, mais économiquement l’opportunité s’imposait. Aujourd’hui, l’appellation Guinguette Arena est entrée dans le langage courant. Le naming, signé pour trois ans, avait pour but de redonner une identité à la salle et d’impulser notre activité événementielle.

Les spectacles accueillent jusqu’à 2 500 spectateurs. Quelle est votre stratégie dans ce domaine ?
L’Arena peut accueillir 3 000 personnes en configuration basket, mais la jauge spectacle est limitée à 2 500. Le namer souhaitait au départ organiser deux soirées DJ avec un public debout, ce qui n’était pas possible. Nous devions initialement nous limiter à la mise à disposition de la salle, mais nous avons vite compris qu’un événement de cette ampleur nécessitait un accompagnement plus poussé.
L’image de l’Arena étant fortement associée aux Flammes, nous avons choisi de prendre en charge la régie, la promotion et l’organisation. Transformer la salle implique une semaine de démontage : parquet, écrans, LED, habillage basket. C’est un travail lourd. Après analyse, nous avons orienté l’activité vers les spectacles d’humour, techniquement plus simples et adaptés à une jauge assise. Ce positionnement nous a permis d’acquérir un savoir-faire qui pourrait, à terme, nous conduire à organiser directement nos propres spectacles.
Le contrat de gestion de la salle a été prolongé par la métropole jusqu’à la fin de la saison sportive (30 juin 2026, ndlr), et j’espère que l’expérience acquise ainsi que les résultats enregistrés plaideront en notre faveur dans le prochain appel d’offres qui sera émis par Ardennes Métropole.
Vous travaillez avec près de 300 partenaires. Qu’est-ce que représente pour eux l’engagement auprès d’un club féminin comme les Flammes ? Comment structurez-vous votre relation B2B et votre stratégie de visibilité, notamment sur les réseaux où les partenaires apparaissent peu ?
Charleville est un territoire à culture sportive très masculine. Quand les Flammes sont arrivées en 2001, beaucoup pensaient qu’un club féminin ne pourrait pas s’installer durablement. Nous étions une petite équipe très engagée. L’effondrement de Sedan (club de football historique) a laissé un vide que nous avons progressivement occupé, parallèlement à la montée sportive et à l’ouverture de l’Arena (2015), qui ont renforcé notre visibilité.
Nous avons également observé les modèles existants : certains reposent sur les collectivités, d’autres sur un propriétaire puissant, d’autres sur un ancrage historique. Dans le contexte français, nous avons compris que notre développement passerait par une structuration commerciale solide et un réseau dense d’entreprises plutôt que par un unique très gros partenaire. Partenariats et mécénat représentent aujourd’hui 1,2 million d’euros.
L’hospitalité joue un rôle central. Les collectivités ont financé un chapiteau de 600 m² et nous avons ajouté un espace privatisable. Nous proposons aujourd’hui des bars dédiés, des espaces privatisés, un accueil VIP et un après-match qui réunit 450 à 600 convives. Pour s’adapter aux usages, nous avons remplacé l’attribution fixe de places VIP par un volant de places mobilisables selon les besoins. C’est un service très apprécié, même s’il implique une coordination fine.
Vous avez investi dans un CRM. Quel rôle joue-t-il dans votre modèle ?
L’évolution des usages en hospitalité, avec des besoins plus flexibles, a profondément transformé notre organisation. Pour gérer réservations, convives et flux VIP, le CRM est devenu indispensable. Il concerne principalement le B2B : newsletters, réservations en ligne, plans de salle, coordination traiteur. Sans cet outil, il serait très difficile de maintenir notre niveau d’accueil.
Quel est aujourd’hui le profil de votre public à l’Arena et comment adaptez-vous vos offres d’abonnement et de billetterie à ces différentes typologies de spectateurs ?
Notre public est familial. Dès la salle Bayard, nous voulions proposer un show à l’américaine adapté aux Ardennes, avec écrans, danseurs, mascottes et jeux de lumière. L’objectif était d’offrir une soirée complète. Cette approche a construit une audience variée : certains viennent pour le spectacle, d’autres deviennent des habitués attachés à l’ambiance de l’Arena.
Nous accueillons entre 2 500 et 2 800 spectateurs, avec des rencontres à guichets fermés. Le public est moins “puriste” basket que celui de l’Étoile (l’Étoile de Charleville-Mézières est le club masculin de la ville, ndlr), mais très attaché à l’expérience. Nos abonnés sont plutôt âgés, tandis que les plus jeunes privilégient une consommation à la carte, très génération Netflix.

Les joueuses interviennent-elles dans vos activations partenaires, que ce soit en événements, en contenus ou en visites terrain ? Est-ce une dimension que vous souhaitez développer davantage ?
Nous aimerions les mobiliser davantage, mais leur priorité reste naturellement le terrain, avec un calendrier dense, notamment en Europe. Nous veillons à préserver les conditions de performance.
Certaines activations sont possibles, comme celles menées avec Burger King autour de la joueuse King du mois. Nous pouvons aussi compter sur des relais internes : Romuald Yernaux, le coach, et Amel Boudera, ancienne capitaine devenue directrice sportive, jouent un rôle actif auprès des entreprises. Avec l’équipe commerciale, cela nous permet d’entretenir un lien étroit avec les partenaires.
Votre centre de formation compte aujourd’hui une majorité de joueuses venues de l’extérieur, parfois de l’étranger. Comment structurez-vous votre recrutement et comment s’articule votre bassin de formation dans un territoire proche de la Belgique et du Luxembourg ?
Il y a encore peu de joueuses ardennaises, le basket étant peu implanté dans le département. Nous travaillons donc principalement par détection externe. Nous avons accueilli des profils variés : la Luxembourgeoise Dionne Madjo, intégrée au groupe professionnel, ainsi que des internationales suisse, anglaise et bulgare. Notre responsable du centre, Desislava Angelova, dispose d’un réseau solide.
Nous faisons partie des meilleurs centres de formation de France. Chaque saison, une ou deux jeunes intègrent le groupe professionnel comme partenaires d’entraînement. La marche reste importante. Dionne Madjo est la première joueuse issue du centre à obtenir un vrai rôle en équipe première, un développement que nous souhaitons renforcer.

Crédit photo : William Fostier / Flammes Carolo
Le marché des transferts se tend fortement : peu de Françaises disponibles, un afflux vers la NCAA, et désormais la concurrence des nouvelles ligues comme la WNBA élargie ou Project B. Comment ces dynamiques influencent-elles votre recrutement et la construction d’un effectif compétitif ?
Oui. Le marché français est très restreint et peu de joueuses sont disponibles en cours de saison. Nous avons choisi de bâtir une base de Françaises prometteuses, comme Noémie Brochant, Coline Franchelin ou Maya Hirsch, qui peuvent se développer jusqu’au niveau international, à 5 comme à 3.
Aujourd’hui, les meilleures Françaises cherchent à évoluer dans les meilleurs clubs européens, ce qui réduit le vivier pour la LFB. Les jeunes talents sont également attirés par la NCAA, qui constitue une voie de développement structurante.
Pour les étrangères, la concurrence s’intensifie : la WNBA se renforce et de nouvelles ligues comme Project B émergent, diminuant encore le nombre de joueuses disponibles. Dans ce contexte de tensions croissantes, une réflexion collective entre clubs et fédération sera indispensable.
Comment construisez-vous aujourd’hui votre stratégie digitale, à l’heure où les plateformes sociales deviennent un actif stratégique majeur pour le sport féminin ?
Avec le développement de notre modèle multi-activités, il devenait difficile d’assumer seul la production de contenus. Nous avons donc recruté Prune Faucher, d’abord en apprentissage puis en freelance. Elle gère désormais l’essentiel du digital, suit l’équipe en déplacement et produit vidéos, vlogs, formats interactifs et une partie des photos.
Nous concentrons nos efforts sur Instagram, Facebook et TikTok, où l’engagement est le plus fort. YouTube n’a pas été prioritaire, mais nous observons ce que font d’autres clubs pour identifier de bonnes pratiques. Nous avançons étape par étape, au rythme de la structuration de nos ressources.
« Trouver l’équilibre entre la diversification événementielle et le développement commercial du club » – Guillaume Créty
Quelle est d’ailleurs la structuration de votre équipe administrative et commerciale ? Comment votre modèle multi-activités influence-t-il la répartition des tâches et vos capacités de développement ?
La réorganisation de notre stratégie digitale s’inscrit dans une évolution plus large de nos ressources. Nous avons constitué une équipe resserrée mais polyvalente : une responsable commerciale impliquée dans l’événementiel, une secrétaire, une community manager freelance, Prune Faucher pour le digital, un graphiste et un chargé du merchandising et de la billetterie. J’en assure la supervision.
Nous partageons l’Arena avec l’Étoile, ce qui nécessite une coordination régulière pour les matchs et l’accueil du public. Toutes ces missions nous placent aujourd’hui à un carrefour stratégique : trouver l’équilibre entre la diversification événementielle, qui nous a permis d’acquérir un vrai savoir-faire, et le développement commercial du club, qui demeure notre cœur d’activité. L’enjeu est d’articuler ces dynamiques pour consolider durablement le projet des Flammes.
La trajectoire des Flammes Carolo illustre un mouvement plus global : la professionnalisation passe par la maîtrise des équipements, la diversification des activités et la capacité à créer une dynamique territoriale autour du club. L’Arena, devenue Guinguette Arena, n’est plus seulement un lieu de match : c’est un actif économique qui soutient un projet sportif durable, facilité par un ancrage territorial fort auprès des partenaires.
En anticipant ces mutations, les Flammes consolident leur place dans l’élite et démontrent que le développement du sport féminin repose autant sur la performance que sur la stratégie.
