L’Elite 1 de rugby sur Canal +, à la conquête de 2025

Ce samedi 2 novembre 2024, conformément aux annonces réalisées par la FFR, la LNR et Canal + le 21 octobre dernier, a eu lieu la première diffusion télévisée d’une affiche d’Elite 1 en saison régulière (la finale étant diffusée sur les plateformes de France.TV). C’est ainsi que Les “Lionnes” du Stade Bordelais et les joueuses de l’ASM Romagnat ont inauguré la nouvelle histoire médiatique du rugby féminin français de club, en foulant la pelouse du Stade Michelin devant les caméras du diffuseur du Top 14 et 12 500 témoins de ce baptême télévisuel, record de fréquentation pour un match de l’élite féminine à la clé.

Source : Rugbyrama

Cette nouvelle étape dans la mise en avant du rugby au féminin en France s’inscrit dans un contexte de fort développement, et pour lequel les réseaux sociaux (TikTok notamment) et la vitrine de la télévision ont joué le rôle de locomotives particulièrement volontaristes. 

Un volume de diffusion télévisuel surpondéré

Ainsi, en reprenant une infographie publiée par lemonde.fr en Juillet 2023, on constate la forte visibilité du rugby sur les antennes de télévision malgré un taux de féminisation de la discipline parmi les plus faibles (12,21% des licenciées, soit 42 965 joueuses en 2022).

Poussé par le XV de France, le choix de diffusion est rapidement payant, avec des performances d’audience dès 2017 et la diffusion sur France Télévisions de la Coupe du Monde Féminine. Les affiches contre l’Irlande et surtout l’Angleterre attirent les supporters avec respectivement 2 343 000 puis 3 020 000 téléspectateurs. Ces performances médiatiques s’inscrivent autant dans un contexte de prestige de l’événement et de succès sportif (succès contre l’Irlande, victoire aux VI Nations l’année précédente) que dans celui du relatif désamour du XV masculin. Néanmoins, la graine de l’attrait médiatique a germé et ce sont à nouveau 1,8 million de téléspectateurs qui regardent en 2018 le match face aux Black Ferns néo-zélandaises, puis 2,2 millions lors de la “finale” des 6 Nations 2019, le “crunch” face aux Red Roses anglaises.

La Coupe du Monde 2021 (disputée en 2022), organisée en Nouvelle-Zélande et donc soumise à un très fort décalage horaire, n’a pas pu capitaliser sur les progrès d’audience en France, et ce n’est qu’en 2023 qu’on retrouve le seuil des 2 millions de téléspectateurs, à nouveau face aux anglaises.

Un héritage ancien et polémique

Le rugby féminin à XV évolue dans l’ombre depuis une cinquantaine d’années (première édition en 1971). Confidentiel, le rugby pratiqué par des femmes est même contraint à l’autonomie de l’AFRF (Association Française de Rugby Féminin) vis-à-vis de la FFR entre 1966 et 1989, sous prétexte de « contre-indications physiques et morales évidentes ».

Le rugby est contre-indiqué pour les joueuses filles et femmes pour des raisons physiologiques évidentes. Cette pratique présente des dangers sur le plan physique et sur le plan moral… Aussi je vous demande instamment de ne pas aider les équipes de rugby féminin.

Circulaire du Secrétaire d’Etat à la Jeunesse, aux Sports et aux Loisirs, 1972

Mais la pratique féminine gagne en visibilité médiatique à partir de 2010, sur l’héritage de la Coupe du Monde organisée en France en 2007, et en légitimité fédérale dès 2008, en étant même un axe prioritaire dans la conquête de licenciés dans le programme de Bernard Laporte.

Une répartition géographique (un peu) plus hexagonale

De fait, si l’élite féminine de clubs se fonde sur les équipes masculines dominantes du Sud-Ouest et l’Auvergne-Rhône-Alpes, la carte territoriale du rugby féminin présente des extensions notamment au Nord et en Normandie (Lille, Rouen) qui témoigne d’une conquête territoriale du rugby en dehors de ses aires traditionnelles d’influence.

Sur le plan démographique, bien qu’encore marginale en nombre (moins de 50 000 licenciées), la conquête se manifeste également, avec une progression des licences féminines sur l’ensemble des tranches d’âge :

Ce double mouvement de croissance, territorial et démographique, s’associe donc à une ferveur et une fréquentation des stades en hausse (le record de samedi 2 novembre et +500 % entre 2021 et 2023 pour l’affluence de la finale d’Elite 1), que la stratégie employée par Canal +, la LNR et la FFR autour du doublonnage des calendriers permet de structurer.

Effet premium et doublonnage des affiches

En effet, le choix a été fait, sur certaines journées de « doubler » les affiches masculines et féminines en faisant s’opposer les mêmes clubs, le même jour. Ainsi ce samedi 2 novembre, l’affiche proposait :

  • ASM Clermont Auvergne vs UBB Bordeaux en Top 14 (Hommes)
  • ASM Romagnat vs Stade Bordelais en Elite 1 (Femmes)

Cette stratégie permet de mutualiser les stades et les moyens de production audiovisuelle, garantissant un halo tant en fréquentation (effet premium, meilleure enceinte) qu’en audience.

A la conquête de 2025

A l’aube d’une Coupe du Monde 2025 qui promet d’être une étape spectaculaire pour le développement de la pratique féminine, qui promet déjà de nouveaux records d’affluence, la FFR met donc les ingrédients pour faciliter l’héritage de la compétition auprès des futures licenciées, dans un objectif assumé de 100 000 joueuses. Le rôle de la télévision et des réseaux sociaux, et de l’exposition médiatique qu’ils représentent dans la « littéracie » sportive des jeunes filles est donc un enjeu majeur pour les initier à un sport encore associé à des canons virils masculins.