La multipropriété dans le sport au féminin
Michele Kang, propriétaire de l’Olympique Lyonnais Féminin depuis 2024, des Washington Spirit et des London City Lionesses a annoncé le 27 juillet la création de Kynisca Sports International, un fonds d’investissement dédié à la croissance du sport professionnel féminin. En s’engageant sur une levée de fonds de 100 M$, dont 50% apportés par ses propres véhicules investisseurs, la dirigeante américaine promeut un modèle de multi-propriété assumé qui selon elle est la meilleure voie de développement pour le sport au féminin.
Héritage des institutions multi-sports traditionnelles
Ce concept de multi-propriété est toutefois à différencier des entités multi-sports, qui à l’instar du Valencia CF (basketball & football), du FC Barcelone (volley-ball & football) en Espagne, du Borussia Dortmund (handbal & football), du Werder Brême (handball & football) en Allemagne ou du Galatasaray Spor (football, volley-ball et basketball), sont l’héritage naturel et peu professionnalisé des « athletics clubs » ou « sporting clubs » du début du XXème siècle.
En France, l’atypique club des Neptunes de Nantes a offert déjà un modèle différent, en ayant regroupé sous une même identité les équipes professionnelles de handball et de volley-ball dès juin 2022, sous l’impulsion du groupe immobilier Réalités.
On observe donc deux modèles concurrentiels pour la création de synergies, d’une part le multiclubs local, qui requiert un partenaire investisseur à l’ancrage territorial fort, ou le patronage d’un club historique multidisciplinaire, et d’autre part le modèle financier centré sur un seul sport, avec des marques multiples disséminées sur l’ensemble du globe.
Le premier modèle, plus traditionnel, est encore très en vigueur au Moyen-Orient, avec le Galatasaray, Besiktas (Turquie), Al-Ahly, Zamalek, SC Alexandria (Egypte), Al-Nassr, Al-Hilal, Al-Ahli (Arabie Saoudite). Le second modèle fait l’objet lui de développements plus contemporains, sous l’impulsion de Michele Kang, du consortium Mercury 13 et des fonds déjà acteurs dans le sport professionnel masculin (Fenway, Arctos, Ares).
Essor et émancipation économique
Le sport professionnel féminin connaît depuis la sortie du Covid-19 un développement économique important et sans précédent, franchissant le plafond du milliard de dollars (1,28 milliard $) en 2024, répartis comme suit :
Encouragés par cette croissance, les fonds et les actionnaires particuliers à riche portefeuille voient, notamment dans le football et le basketball féminins, des axes d’investissement à forte rentabilité. Ce dynamisme prend aussi racine dans le découplage (« unbundling« ) de la commercialisation des droits de licence, de naming, de sponsoring et de diffusion des clubs et ligues, en particulier anglais (NewCo en Barclays WSL et Championship) et français (avec la création de la LFFP).
Il n’est ainsi pas étonnant de recenser les actifs de Michele Kang en NWSL (Washington Spirit), en Barclays Championship (London Lionesses) et en Première Ligue Arkéma (OL Féminin). Les trois entités sont d’ailleurs toutes indépendantes de clubs masculins, l’OL ayant acté son découplage à l’issue de la dernière saison, et le Lionesses étant l’un des rares clubs strictement féminin parmi les clubs professionnels anglais. Les volontés de synergie ne sont ici pas contraintes par la prévalence du club masculin, dont l’échelle économique est encore sans commune mesure avec les structures féminines.
Mercury 13, l’autre structure pionnière sur la multipropriété, pilotée par Victoire Cogevina Royal, issue de la MLS, avait initialement visé cette même stratégie en déclarant son intérêt pour le Lewes City FC, avant que le club refuse de scinder ses entités masculine et féminine, entraînant la rupture de l’offre de Mercury 13. Le fonds maintient ses ambitions d’investissement de 100 M$ à l’échelle globale, soit le même niveau que Michele Kang avec Kynisca.
Economie circulaire et développement sociétal
Les deux structures partagent la même ambition, avec la même échelle de moyens. Cette ambition se décompose en plusieurs points :
- Produire un écosystème propre, où les structures de formation se rejoignent (là où les investissements sont les plus lourds) pour échanger les joueuses sur un marché des transferts en pleine maturation, avec des prêts aux différents clubs partenaires pour rentabiliser les actifs de joueuses et d’entraîneures.
- Combler un manque en recherche & développement sur la performance féminine. En football en particulier, on constate une recrudescence des blessures ligamentaires que la recherche tend à attribuer à un déficit de spécialisation féminisée du matériel et des méthodes d’entraînement (préparation physique). Investir sur la R&D, c’est permettre une évolution plus inclusive des performances athlétiques.
- Engager la société civile sur des actions de citoyenneté. Les exemples d’Angel City FC, qui reverse 10% de ses bénéfices aux associations de son territoire, ou du Como FC, propriété de Mercury 13, montrent que l’engagement sociétal est un fondement de l’investissement des groupes de multi-propriété.
Enjeux et diversification
Portés d’abord par des investissements essentiellement dirigés vers le football, du fait de son essor particulier, les fonds de multi-propriété féminins devraient dans un horizon proche diversifier les actifs en suivant les tendances de l’écosystème sportif féminin professionnel. On devrait ainsi voir se multiplier les prises de participation, minoritaires d’abord, dans des structures professionnelles de basketball (WNBA, LFB, WBBL), hockey sur glace, avec le démarrage de la PWHL et netball.