Deloitte Football Money League – Le décollage du football féminin européen
Pour sa troisième édition, le Deloitte Women’s Football Money League présente pour la première fois des résultats de clubs « consolidés » par les intrants « intra-groupe » lorsque les revenus commerciaux sont partagés sur les sections féminine et masculine (ex: American Express pour le PSG) « Group income includes, among other components, revenue attributable to the women’s club from full club-wide commercial agreements ».
Bien qu’amputé des résultats des clubs de NWSL, le rapport offre des opportunités d’analyse très intéressantes, à développer dans les lignes suivantes.
Des revenus en très nette hausse
Sur la saison 23/24, les 15 clubs les plus performants ont pu enregistrer au cumulé 116,6 millions d’euros de revenus, soit une hausse globale 35% en un an, et une moyenne de 7,77 millions par club
En constatant cette moyenne, on observe :
- une hausse de 80,6% des revenus générés par les top clubs (4,3 m€ en janvier 2024, source : Deloitte Football Money League 2024)
- que la moyenne de 2024 est égale aux revenus enregistrés par le FC Barcelone Femini en 2022, ce qui accentue le constat d’une hausse des masses économiques disponibles dans le football féminin européen.
La puissance de la Women’s Super League et l’impact de la médiatisation
Comme décrit dans le rapport, 8 clubs de WSL figurent parmi le top 15. Bien que les revenus issus de droits média (entre 8,3 m€ et 9,5m€ par saison) soient non-négligeables dans les bilans, leur redistribution (d’ailleurs inégale, de 0,8 m€ constatés pour Liverpool à 2m€ pour Manchester United ou Chelsea) reste très minoritaire dans les résultats financiers des clubs du Top 15, à l’instar des représentants des autres ligues. Ces résultats vont néanmoins fortement progresser avec l’entrée en vigueur du nouveau contrat de diffusion portant la contribution de Sky à 15,4 m€ la saison, dès celle-ci écoulée.
Au-delà des droits redistribués, il faut comprendre l’annonce de la diffusion de 70 matches de la saison 24/25 en « FTA » (free-to-air) sur YouTube, en plus des matches premium sur abonnement. Cela implique une visibilité maximale des rencontres, un « KPI » important pour les annonceurs et sponsors des clubs. Pour comparaison, la Première Ligue Arkéma est diffusée en intégralité, mais à raison de 2 matches par journée sur les chaînes Canal+, le reste n’étant accessible que Dailymotion (plateforme de partage de vidéo filiale de Canal+).
Ainsi, sur les trois premières journées diffusées sur YouTube par la WSL, l’audience cumulée atteignait 1 576 848 millions de téléspectateurs, quand la phase aller de la Première Ligue Arkéma cumulait toute entière 409 116 téléspectateurs, soit 9 298 par match.
Des modèles économiques distincts, une maturité encore lointaine
Parmi ce top 15 , la variabilité des revenus d’un rapport 1 (Brann, 2,1 m€) à 8,5 (Barcelone, Arsenal, 17,9 m€) démontre une très forte hétérogénéité des marques, une segmentation qu’on retrouve dans la ventilation des revenus par catégorie.
Si le top 4 démontre un vrai pouvoir d’attractivité des foules, avec des revenus « matchday » compris entre 2 et 5 millions €, ils le doivent à l’opportunité présentée d’accueillir leurs rencontres dans les stades premium, avec l’exemple particulier d’Arsenal (5,1 m€) qui accueille matches à domicile de WSL dans le stade principal de l’Emirates Stadium, générant ainsi des affluences records : 29 118 spectateurs sur 6 rencontres disputées.
L’autre point distinctif dans la catégorisation des clubs consiste en la présence ou non d’une entité commerciale spécifique à la section féminine. La restructuration récente de Chelsea, dont fait part le rapport Deloitte, fait écho à la scission des entités de l’Olympique Lyonnais, dont l’équipe féminine est désormais la pleine propriété de Michele Kang, par ailleurs propriétaire des London City Lionesses en Championship. Ce modèle de gouvernance est encouragé par la création d’une société commerciale au sein du football féminin anglais, la WPLL (Women’s Professional League Ltd.) qui valorise les contrats commerciaux pour l’ensemble des 2 championnats professionnels anglais.
Private Equity et économie des transferts, les prochains leviers
La restructuration appliquée à la gouvernance de Chelsea par Ted Boehly, ouvre la porte des féminines à des investisseurs en Private Equity, vecteurs de valorisations croissantes. Parmi eux, le très intéressé Monarch, dont le portfolio d’investissements grimpe désormais à 200 m€. Fait intéressant, Monarch est actionnaire des San Diego Wave, franchise NWSL dont provient Naomi Girma, et qui rejoindra Chelsea ce mercato pour le transfert record d’1 million de dollars.
On assiste donc à l’introduction du prochain levier de développement : la financiarisation par les fonds d’investissement du football féminin européen, qui permet déjà, suite à la refonte du CBA américain (Collective Bargain Agreement) la dynamisation d’un marché des transferts jusque-là marginal dans l’économie des clubs. La suite reste à écrire, après l’Euro suisse.