Alké, l’audace au féminin
Porté par une pratique sportive en hausse, le marché de l’activewear féminin est en plein essor, avec une projection de croissance entre 2024 et 2027 de près de 12 % d’après Statista, jusqu’au seuil des 50 milliards de dollars.
selon la régularité et le sexe – Source : INJEP
Profitant d’un marché favorable, plusieurs marques, en particulier nord-américaines se sont développées pour répondre aux besoins spécifiques exprimés ou attendus par les sportives, en matière de morphologie, physiologie, ou de pratiques sociétales.
En France, le marché s’éduque peu à peu, et une marque en particulier a su saisir sa chance, Alké, dont la naissance coïncide avec l’accueil de la Coupe du Monde FIFA Féminine de 2019. Positionnée sur le segment des vêtements de football destinés aux femmes le pratiquant, Alké s’impose depuis 5 ans comme le très coloré leader français du textile sportif au féminin, structuré autour de valeurs et d’un projet social fort, courageux et prometteur de prouesses, comme la déesse dont elle a inspiré le nom. Rencontre avec sa co-fondatrice, Claire Allard.
Madame Allard, merci de m’offrir de votre temps, voulez-vous bien revenir sur l’histoire de la marque, et son contexte de création ?
Tout a commencé en 2018, lorsqu’en formation à l’Executive MBA de l’Institut Français de la
Mode, un module de création d’entreprise nous a amené à travailler, Barbara Blanchard,
Laura Marcora et moi, sur la création d’une marque. Étant footballeuse et ayant toujours eu
du mal à trouver des vêtements adaptés à la pratique féminine, j’ai proposé l’idée de faire
une marque de vêtements et d’accessoires pour celles qui pratiquent du foot (nda : un écho
aussi au sujet de mémoire de Barbara Blanchard qui s’intitulait quant à lui « La diversité et
l’inclusion dans les industries créatives et de mode »). On a passé un an à créer, chercher un
nom et des valeurs, et c’est comme ça qu’Alké est né. On a commencé à dessiner des
prototypes. Poussées par l’enthousiasme de nos professeurs, et le momentum de la Coupe
du Monde Féminine de Football, on a pu démarrer progressivement depuis les équipements
individuels, vers une offre club plus complète, jusqu’à des collections lifestyle et des
directions vers d’autres sports, dont le roller-derby.
Vos références présentent une grande variété de structures, et outre les clubs, on retrouve de nombreuses équipes loisirs, corporate et même militantes. Quel est votre positionnement, votre coeur de cible ?
Nous avons en effet travaillé avec de nombreux clubs (dont les clubs de l’AS Monaco
Féminine, le CA Paris, Angers Croix Blanche) qui sont déjà engagés avec des
équipementiers, et avec qui l’on collabore sur des projets ponctuels, événementiels, comme
Octobre Rose. Mais nous avons aussi de nombreux clubs avec qui l’on travaille en tant
qu’équipementier « global », dont Guyancourt, Beaumont, La Garenne-Colombes, Wissous,
qui est d’ailleurs un historique de nos collaborations, un de nos premiers clubs. Pour
répondre à la question du positionnement, nous avons un engagement qui est très fort, et
cela parle à des équipes qui ont des valeurs qui entrent en résonance avec celui-ci, sur leurs
missions à elles. Il faut bien sûr souligner que « capter » une équipe c’est un travail de longue
durée, et qu’entre une rencontre et la concrétisation d’une collection, ça peut être un travail
de plusieurs années.
Vous présentez un projet social très fort, avec des engagements éducatifs, sociaux, de santé et d’empowerment qu’on retrouve par ailleurs dans de nombreuses marques dans le sport au féminin. Est-ce que c’est un engagement obligatoire en tant que marque, ou bien est-ce que c’est une évidence dès la création ?
Notre engagement a toujours été social et en faveur du développement du sport féminin. Cette dimension est notre première mission, celle d’ailleurs sur laquelle on communique le plus. Quant à la production responsable, celle-ci nous est apparue comme une évidence, tant pour nous ça doit faire partie des standards de penser un modèle responsable à 360°, européen. Ensuite, il y a des engagements que l’on a pris et qui sont aujourd’hui très forts pour nous, dont le sport-santé, particulièrement Octobre Rose, car on s’est rendues compte que c’est un sujet très important dans la communauté autour du football féminin, car le football est un lieu de discussion et d’échanges. En tant qu’acteurs de cette communauté-ci, on doit évidemment porter ces sujets auprès des clubs, et nous savons désormais les revendiquer et le public nous identifie aussi par rapport à ces sujets sociétaux là.
Vous comptez de nombreux partenariats avec des équipes corporate, dont Manita, est-ce que la notion d’empowerment, d’inclusion professionnelle, de leaderhip, est quelque chose qui vous anime aussi ?
Ces partenariats sont issus en partie d’un historique professionnel et personnel, puisque sur une précédente carrière chez PwC, j’ai pu justement constituer une équipe féminine au sein de l’entreprise et j’avais pu me rendre compte et montrer les bénéfices impulsés pour les joueuses impliquées, sur la confiance, et sur les liens construits entre les départements, les bureaux, les collaborateurs. Nous n’avons pas pour autant de programme spécifique sur l’empowerment, mais des projets portés en commun avec Manita, avec qui on va fournir les équipements lors de ses événements et tournois.
Venons-en à votre raison d’être, sur une question certainement naïve : pourquoi des maillots de football spécifiquement féminins ?
Je pense qu’il y a plusieurs éléments de réponse. Depuis mon exemple personnel premièrement, quand je jouais pendant mes années lycée, systématiquement, nos maillots étaient les anciens maillots des garçons, trop grands, pas confortables. Quand je voulais me procurer mes équipements personnels (d’entraînement), n’étant pas très grande, je devais souvent me rabattre sur le rayon enfant, mais morphologiquement, au niveau de la poitrine, des hanches, de la taille, ça n’était pas du tout adapté, donc cela représentait manifestement un besoin. Après, quand les équipementiers ont commencé à développer une offre pour les filles (nda : la première collection de Nike pour les sélections nationales féminines date de 2019), en fait, ils prenaient les maillots de garçons, les cintraient et les coloraient en rose (le « shrink and pink »), donc il n’y avait pas ni recherche ni adaptation aux besoins des femmes.
Dans notre démarche, nous avons tout simplement demandé aux joueuses, et leur réponse unanime était le besoin de confort. Concernant le style, nous avons cet ADN de mode, donc nous avons dès le départ fait le choix de matières douces, confortables, légères et travaillé méticuleusement sur le choix des coupes, que les joueuses réclament majoritairement droites, et non cintrées, avec des manches ni trop longues, ni trop courtes. Concernant le choix des imprimés, des designs, nous avons proposé volontairement une grande diversité, par opposition aux catalogues traditionnels où pour 10 pages de modèles disponibles chez les hommes, il n’y a qu’une seule page pour les femmes. Une manière forte aussi de revendiquer et représenter l’existence du football chez les femmes, faire reconnaître que si une gamme destinée aux femmes existe, le football féminin est possible, normal, ça devient un standard. On ne peut pas créer l’histoire du football féminin sans maillot féminin. En créant ces maillots spécifiques pour les femmes, on leur permet d’écrire leur histoire de footballeuses.
Aujourd’hui et pour l’avenir, votre croissance vise-t-elle plutôt le développement des sections féminines au sein des clubs ou bien plutôt une pratique non fédérale ?
Les deux, forcément. Les deux ont vocation à se développer et co-exister. Pour une marque comme la nôtre, la croissance passe par cette évolution, augmentation de la pratique en France, mais aussi par des relais à l’international, à travers les liens qu’on a su construire avec des équipes étrangères et le marché global. Le marché français est encore trop peu structuré au niveau du football féminin, très à distance du marché américain ou anglais.
Sur le plan international, il y a un marché en plein essor, largement soutenu par la FIFA, c’est le marché africain, vous avez par ailleurs des liens avec le Sénégal, est-ce que l’Afrique est une zone de croissance pour Alké ?
Avec le Congo aussi, ce sont en effet des marchés que l’on regarde, que l’on suit. Bien que ce ne soit pas forcément facile de travailler en circuit plus long, de voir que nos maillots puissent être portés à l’autre bout du monde, quand en plus ça fait sens avec notre mission de projet social, c’est émouvant. J’ai l’exemple de joueuses au Congo qui portent nos maillots, qui publient les photos d’entraînement sur lesquelles elles portent nos chasubles issus de la première collection que l’on a éditée, c’est génial, très émouvant.
Une actualité a marqué très positivement le marché de l’apparel féminin, c’est l’investissement de Michele Kang, propriétaire de l’Olympique Lyonnais, dans la société IDA Sport, conceptrice de crampons spécifiques aux femmes. Comment jugez-vous la croissance du secteur ?
Déjà quand nous nous sommes lancées en 2018, tout le monde présentait le sport au féminin, l’apparel, comme le prochain eldorado des marques. Aujourd’hui, les études le montrent bien, la réserve de croissance du sportswear, de l’active wear, elle est sur le marché féminin plus que sur le masculin, où il y a une forme de saturation. Il y a un « boulevard » pour des marques comme la nôtre, c’est évident et c’est tant mieux.
Autre particularité, c’est l’aspect niche des marques qui investissent ce marché, au détriment des leaders que peuvent être Nike ou Adidas. Comment analysez-vous ceci ?
Je ne crois pas qu’elle ne l’investissent pas, au contraire, les leaders ont saisi l’opportunité, bien que ce soit parfois difficile de devoir casser les codes. Les leaders sont très à l’écoute de ce que développent les marques comme la nôtre. Nike ou Adidas ont de toute façon l’avantage de la notoriété et de l’investissement que représentent les barrières à l’entrée de la production textile.
il y a aussi l’importance du temps qui compte pour que les publics fassent confiance à une marque de disruption, et c’est une notion essentielle car le temps c’est un investissement autant humain que financier, que toutes les « petites marques » ne peuvent pas toutes supporter.
Il y aurait beaucoup encore à vous demander, notamment sur la séparation commerciale des sections féminines par rapport aux clubs historiques masculins, et votre opinion sur cela, mais votre agenda est chargé, je vous remercie sincèrement de votre temps et longue vie à Alké !