A Rouen, la vitrine du handball féminin en danger

Tribune exceptionnelle sur Ecosport Women, avec le relais de l’appel de Sébastien Lesonneur, vice-président du Rouen Handball en charge du secteur féminin, qui voit le projet construit depuis 10 ans menacé par la création d’une initiative « Proligue » conduite en faveur de la section masculine par le bureau du club. Alors que le handball féminin est (trop) souvent la vitrine des difficultés du sport féminin, Monsieur Lesonneur a bien voulu s’exprimer pour expliquer la situation.

Sébastien Lesonneur, en bleu, vice-président du Rouen Handball

Monsieur Lesonneur, merci de nous éclairer sur cette actualité compliquée, où les médias normands évoquent la mise en suspens du Rouen Handball Féminin.

C’est un coup d’arrêt qui est porté à un projet initié il y a 10 ans, quand les éducateurs ont posé les fondations d’une filière performance introduite par la création d’une équipe de 17 ans nationales, avec déjà des objectifs dirigés vers le très haut niveau. C’étaient les premières pierres d’une stratégie calquée sur le rythme olympique, avec un premier palier nourri entre 2016 et 2020, et mené par Alexandre Briet, qui a su dès le début emmener des partenaires commerciaux sur sa vision (réaliser le record du monde de spectateurs pour un match amateur en 2023)

La seconde olympiade, 2020-2024, a vu la montée en puissance des équipes du club, avec en point d’orgue les promotions de l’équipe première de Prénationale à la Nationale 1, et avec désormais, pour le « dernier étage de la fusée », ce qui devait être l’accession à la D2. Ce qui implique un dimensionnement du budget à la hauteur des besoins, de la « force de frappe sportive » de sorte à ce que la D2 ne soit finalement qu’une étape intermédiaire vers la D1 [Ligue Butagaz Energie, ndlr]. Ce dimensionnement, on l’a calculé en fonction des budgets moyens en D2F, et cela implique de porter notre « force de frappe » à 800 000 voire 1 million d’euros.

Et c’est ce dimensionnement qui est remis en question aujourd’hui ?

Tout à fait, car la décision du conseil d’administration implique une budgétisation pour une Proligue de 2,5 millions d’euros, ce qui nous paraît absolument incompatible, en l’état de la situation économique actuelle, avec des collectivités qui sont, je pense, au plafond de ce qu’elles peuvent nous offrir. Aujourd’hui c’est utopique de pouvoir se dire que vous pouvez faire et en même temps de l’élite masculin et de l’élite féminin au sein du même club. Car sans compter l’aspect financier, il faut tenir compte de l’aspect développement, sur lequel notre section féminine a déjà 10 ans de travail derrière. 10 ans où l’on a pu faire progresser une filière formation et performance, construite avec le concours du maillage avec les clubs du territoire, et qui compte aujourd’hui un pôle formation, un pôle espoir, un pôle réserve et un pôle élite. Or chez les garçons, il y a tout à construire, tout à faire. Or, pour une équipe élite, le club doit enregistrer une équipe U18 France, une prénationale, une équipe réserve minimum en N3. Or rien qu’une équipe U18 France, c’est encore 30 000 € à investir. Une équipe N2 c’est 50 000 €. Ce qui grève d’autant le budget nécessaire à la pérennisation du projet D2F, et c’est pourquoi nous avons malheureusement certains de nos partenaires, de nos investisseurs, qui font machine arrière, car c’est incompatible avec le projet que l’on leur a proposé.

Ce projet, il était particulièrement symbolique pourtant sur le bassin rouennais.

Tout à fait, car sur un bassin important de 600 000 habitants, l’offre de sports élite est surtout constituée de sport masculin (basket, hockey, football, rugby), et nous avions réussi à créer cette offre unique d’un sport élite féminin, pour lequel on avait d’ailleurs réussi à investir la Kindarena, avec un volontarisme de la métropole envers notre projet féminin. Pour l’anecdote, les garçons n’ont eu accès à la Kindarena que dans le cadre de nos levers de rideaux, de « doublons » en ouverture des matches de l’équipe féminine.

Kindarena dont les noms des deux salles évoquent parfaitement l’importance du sport féminin aux yeux de la métropole.

Oui, tout à fait, les salles Céline Dumercq et Amélie Mauresmo.

Des espaces avec lesquels le Rouen Handball nouait une stratégie très contemporaine sur le plan événementiel.

Contemporaine et nécessaire car à dans le contexte économique actuel, on ne peut pas se fonder que sur les collectivités, qui atteignent leur plafond comme je l’ai dit, et les partenariats, qui naviguent avec un contexte économique fluctuant. Une des ressources qu’on a su exploiter c’est donc l’événement match. Dans notre salle de 600 places, une fois retirées les 150 hospitalités partenaires, une centaine d’invitations, le levier billetterie est trop faible par rapport aux modèles économiques actuels. Donc on a su réfléchir et mettre en place des actions pour savoir jouer dans la « grande » salle et avoir une jauge à 2500 ou 3000 personnes.

Photo : Maéva François – Record du monde RHB-Neptunes 2023

Les affluences moyennes de la LBE sont de 1400 personnes, en comptant le poids de Metz et Brest. Nous avons su mettre au coeur de notre réacteur économique l’idée de faire venir les gens pour assister à autre chose qu’uniquement un match de handball. Cette attractivité d’un public différent, elle passe par l’événementiel. Et c’est ce que l’on a su faire lors du RHB Show avec la performance d’une artiste locale, Margot Abate, qui nous permet d’amener de nouveaux publics et de faire de la Kindarena un lieu de divertissement, de socialisation, dans lequel le handball féminin tient une place centrale.

Vous avez évoqué une trahison de la part du bureau directeur par rapport à votre engagement et aux 10 ans de genèse du projet RHB Féminin, pourquoi ce mot ?

Trahison car lorsqu’on est venu me chercher l’été dernier, j’ai accepté de mettre mon expérience du sport de haut niveau, mon réseau, mes compétences en gestion de projet sportif d’envergure, mais en étant très clair sur les conditions, à savoir que le club devait continuer à porter le féminin et ne pas présenter de projet « garçons » en même temps. Et c’est ce qui avait été dit également à Christophe Cassan et aux joueuses, alors que 10 mois plus tard, on nous annonce ce projet « Proligue », qui par ailleurs était un projet en discussion depuis février 2024. Donc oui, on a le sentiment d’être trahis. J’ajoute par ailleurs que depuis cette décision, une vague de démission des encadrants, tous diplômés de la filière féminine est malheureusement à déplorer sans aucune prise de conscience du club. Derrière cela il y a des jeunes filles qui a l’heure actuelle ne savent pas quel sera leur avenir.

On entend avec ces mots forts qu’il n’y a plus d’autre avenir que celui de la scission, selon vous ?

C’est ça. Les visions sont aujourd’hui trop éloignées, trop décalées pour que l’on puisse s’entendre et nous espérons que le Rouen HB accepte de céder les droits, les niveaux de jeu sportif pour nous permettre de reconstruire avec une nouvelle structure, qui a d’ores et déjà le soutien de la Ligue, de la Fédération, des collectivités, de la métropole et évidemment de nos investisseurs.

Il faut comprendre aussi que porter les deux projets simultanément, en plus d’être économiquement utopique, est un risque, car si l’un des projets tombe, il entraînera toute l’institution avec lui et ce serait un échec pour le handball d’élite, pour l’ensemble de la structure de formation qui existe autour avec lui.

Je vous remercie pour votre transparence Monsieur Lesonneur, et nous suivrons avec curiosité la suite et j’espère la renaissance du handball féminin de haut niveau à Rouen.