F1 Academy, la cavalerie est-elle là ?
Alors que LVMH s’est investi dans un accord inédit à 100 millions $ envers la Formule 1, le géant du luxe attend-il un changement démographique dans le monde très masculin du sport automobile ? C’est en tout cas le pari de la Formule 1 Academy, qui forme 15 pilotes féminines au sein de 5 écuries, et qui vise à faire figurer une femme dans les paddocks de la catégorie reine d’ici 2030, alors qu’aucune pilote n’a débuté un Grand Prix depuis 1976 et Lella Lombardi. Susie Wolff étant la dernière femme à avoir conduit une Formule 1 en saison (2014), mais uniquement lors d’essais.
Spectatorat de plus en plus féminin et effet Netflix
En 2022, Stefano Domenicali confirmait que 40% des fans de Formule 1 étaient des femmes, contre seulement 8% en 2017. Aux Etats-Unis, ESPN a révélé que 34% des téléspectateurs assidus des Grands Prix étaient des femmes, quand Nielsen évoque 46% de spectatrices parmi les 73 millions de spectateurs gagnés entre 2020 et 2021.
La raison de cette croissance? Si l’on doit en citer une, ce serait bien sûr l’impact de la série « Drive To Survive » sur la plateforme Netflix. Diffusé depuis 2019, le programme a, selon une étude réalisée en 2022 par Nielsen, engagé au moins 360 000 nouveaux téléspectateurs des Grands Prix, soit une croissance de 2,3%. Et d’après les conclusions de l’institut, les fans gagnés sont plus jeunes (46% des fans générés ont moins de 34 ans), plus familiaux (49% de foyers avec enfants) et plus féminins avec 43% de femmes parmi les spectateurs conquis.
C’est sur la base de cet élargissement démographique des fans de F1, et sur les cendres des W-Series, un championnat 100% féminin disparu en 2022, qu’est annoncé la création de la Formula One Academy, soutenue par le vaisseau amiral du sport automobile, Formula One, et pilotée par Susie Wolff, dernière femme engagée en essais de Formule 1 avec Mercedes.
Format et financement, la prime à l’inclusion
En France, d’après les chiffres publiés par l’INJEP, les femmes représentaient 13,44% des licenciés de la Fédération Française de Sport Automobile en 2023, une hausse de 0,5 point par rapport à 2022. Une étude menée par le collectif Inside Track (dont fait partie l’ex-champion du monde David Coulthard) parvient à la même proportion de 13% pour les pilotes engagées en karting, le tremplin le plus évident pour les futurs talents des baquets. Cette disparité conduit naturellement à une pénurie de top-pilotes femmes pour revendiquer l’accès aux écuries comme Red Bull, Alpine ou Mercedes. D’autant que pour les garçons comme les filles, accéder à un baquet en Formule 3 coûte extrêmement cher, et les sponsors susceptibles de lever ces barrières financières misent plus sur les futurs champions que championnes.
Mais avec le volontarisme de Susie Wolff, c’est tout l’écosystème de la Formule 1 qui a fait l’effort pour offrir à 15 pilotes la possibilité de se mesurer au toit haut-niveau du sport mécanique. Soutenues à la fois par une écurie et un sponsor partenaire de l’Academy, les 15 femmes engagées, qui doivent avoir entre 16 et 25 ans, ne doivent plus rassembler « que » 108 000 $. Une somme non négligeable mais que les sponsors individuels ou les soutiens familiaux permettent de collecter. Côté français, Doriane Pin et Lola Lovinfosse, soutenues respectivement par Prema Racing (écurie) et Mercedes, et Rodin Motorsport (écurie) et Charlotte Tilbury, figurent parmi les prétendantes au volant de Formule 3, antichambre de l’élite, offert à la vainqueur du championnat. Avec Charlotte Tilbury, on notera la présence parmi les sponsors hors écuries de marques textiles (Puma, Tommy Hilfiger), financières (American Express), complétant ainsi le triptyque du sport au féminin apparel, finance, (construction) et santé (ici cosmétique).
« J’aurais pu m’adresser aux partenaires normaux de ce sport – un partenaire logistique ou un partenaire carburant. Non, je veux Charlotte Tilbury. Je veux avoir Tommy [Hilfiger] parce qu’il travaille dans le monde de la mode. Je peux toucher un tout nouveau public »
Susie Wolff
Sponsors et pilotes bénéficient en outre d’un format de compétition plus visible, en faisant partie du programme de 7 courses du calendrier des Grands Prix de Formule 1 et donc en étant mêlées aux paddocks, média-zones et pilotes les plus prestigieux.
Une diffusion 100% digitale pour se corréler aux enjeux démographiques
Pour ces 7 Grands Prix, outre Canal + qui retransmet les courses sur son bouquet, Liberty Media, en charge de la diffusion des compétitions Formula One, a appris des erreurs des W-Series. Trop dépendantes de droits télévisuels encore restreints dans le sport au féminin, celles-ci avaient dû s’interrompre en 2022 faute de financement et de modèle économique pérenne. Depuis son lancement, la Formula One Academy est donc quasi exclusivement digitale, une stratégie en lien avec les évolutions de consommation de la F1 constatées par le réseau Motorsport Network.
On constate d’ailleurs une inclination relativement forte pour les consommateurs de sports mécanique quant aux contenus digitaux exclusifs (et payants), avec 21% de spectateurs qui ont souscrit à des plateformes payantes.
Susie Wolff elle-même a défendu cette stratégie 100% digitale, fondée sur le streaming et les résumés viraux, qui correspond aux usages de consommateurs plus jeunes (32 ans), mais surtout aux usages démontrés des consommatrices de contenus sportifs.
En parallèle de la digitalisation des contenus de course, Susie Wolff et les équipes de Liberty Media développent le contenu « inside » et vont promouvoir un « Drive to Survive » au féminin courant 2025, célébrant encore plus le role-modelling des pilotes envers les plus jeunes. C’est donc une exposition à 360° sur l’écosystème médiatique de la Formule 1 qu’offre la Formula One Academy à ses pilotes et ses audiences.
Le sport automobile au féminin, nouvel espace de soft power
En plus d’engager un secteur d’activité traditionnellement masculin, les efforts de féminisation de l’industrie du sport automobile trouvent également un écho dans une géopolitique du sport power, avec la forte pondération des épreuves situées au Moyen-Orient dans le calendrier de Grands Prix (3 courses sur 7 en Arabie Saudite, Qatar et Emirats Arabes Unis) comparativement à la F1 (4 courses sur 24), et la participation de 2 pilotes émiraties, les soeurs Al Qubaisi, quand aucun pilote arabe ne concourt de la F1 à la F3. On peut y voir la stratégie des monarchies arabes pour modifier leur image quant aux droits des femmes, ainsi qu’une volonté de role-modelling auprès de leurs concitoyens dans le cadre des plans Vision 2030 des différents royaumes (Arabie Saoudite, Abu Dhabi, Qatar).
LVMH, grand gagnant de la féminisation des paddocks ?
Avec une stratégie à 10 ans de la part du groupe français et une première femme pilote espérée par Susie Wolff à l’horizon 2030, LVMH et ses marques peuvent capitaliser sur de prochains territoires de plus en plus féminins, et ce alors que les clients de Louis Vuitton sont en majorité des clientes (Liu, Zhiyi, 2024). Les marques alcoolières et horlogères du groupe pourraient exploiter des segments de fans plus diversifiés et plus jeunes, à l’instar des cibles conquises grâce au partenariat construit avec les Jeux Olympiques de Paris 2024.