Comment la crise des droits TV du football français peut refaçonner le football féminin professionnel
Au cours du printemps dernier, la polémique initiée par le président de l’US Orléans avait enflammé les suiveurs du football féminin professionnel, puisque le nouvellement intronisé Cyril Courtin entendait se séparer de la section féminine, pour des raisons censément budgétaires.
Ce n’est pas le seul club dont le président invoque des restrictions budgétaires importantes pour une équipe de Première ou Seconde Ligue : Montpellier, dont les dirigeants n’ont plus « envie d’investir à fonds perdus« , ou bien sûr Bordeaux, dont les atermoiements de l’équipe masculine ont précipité la relégation de l’équipe féminine en Seconde Ligue. Bien que non publiés encore par la DNCG ou les commissions fédérales de la FFF, on surveillera aussi les budgets du LOSC féminin et de l’EA Guingamp, dont le budget avait baissé de 20% entre 2020 et 2021, à environ 800 000 €.
La « charge » des sections féminines
Le rétrécissement de l’enveloppe des droits TV, principale manne du football professionnel français, va nécessairement conduire les dirigeants des clubs de L1, L2 et encore plus en National, à repenser leurs dépenses structurelles car malheureusement pour le football féminin, celui-ci reste encore très dépendant de la contribution financière de son parent masculin, y compris à l’échelle européenne.
Les affluences encore trop relatives des matches de Première Ligue (ex D1) Arkema ne permettent pas des ressources en billetterie pour les clubs, à l’exception du PSG et de l’OL.
Dans le détail, on constate que seuls 2 journées ont dépassé le seuil des 10 000 spectateurs cumulés sur la saison 23/24, les deux confrontations entre le Paris Saint-Germain et l’Olympique Lyonnais.
Concernant les autres revenus commerciaux, il n’y a que 6 clubs sur les 12 engagés qui arborent un sponsor maillot différent de celui de la section masculine : OL, ASSE, Reims, Nantes, Montpellier HAC. Le RC Strasbourg n’arborant encore aucun partenaire à la date de rédaction de cet article.
Enfin, les revenus issus de transferts sont là aussi, marginaux dans l’économie du football féminin. Il y a donc une dissonance entre la « charge » que représente la section féminine d’un club professionnel (SFCMFP selon la domination de W. Andreff) et les revenus générés.
Vers le découplage des sections féminines du football professionnel français ?
Un regard sur la composition des ligues sportives professionnelles permet de comprendre l’unicité du modèle du football féminin. Seuls 2 clubs en basket, volley et handball partagent une section masculine et féminine au niveau professionnel : ASVEL Lyon et C’Chartres. Alors qu’en football, le ratio monte à 24/24. Démontré par W. Andreff et encouragé par la FFF, l’effet de métropolisation a accentué le phénomène en football, pour viser des marchés (donc des affluences) plus importants démographiquement. Les clubs de football féminins indépendants (Juvisy, Soyaux, La Roche-sur-Yon, Schiltigheim, Quimper…) ont soit périclité (ASJ Soyaux, Issy) soit été rachetés/absorbés/suppléés par les entités professionnelles issus du football masculin (Juvisy devenu Paris FC par exemple).
Or, on assiste à une tendance de re-séparation des structures. L’exemple lyonnais étant le plus représentatif, avec la vente (contrainte par les résultats financiers d’OL Groupe) de la section féminine multichampionne de France et d’Europe à Michele Kang en 2024. On note aussi des approches de fonds d’investissements envers la section féminine des Girondins (Sphera Partners). La création même de la LFFP en 2024 constitue un changement de paradigme dans la gouvernance du football féminin professionnel, avec une indépendance renforcée sur la dimension commerciale collective (naming des compétitions, diffusion télé). Mais la frilosité des sections masculines face à l’investissement (structures d’entraînements, mise à disposition des stades, installations audiovisuelles, préparation physique, protection salariale) envers les joueuses, alors que le cahier des charges (en vue de l’obtention de la Licence Club) va croissant, peut être un levier vers des changements de statuts/gouvernance au sein même des clubs professionnels.
Un modèle économique spécifique du sport au féminin
En effet, l’évolution de l’écosystème du sport au féminin dans son ensemble doit inviter les dirigeants des structures professionnelles du football français à repenser la monochromie des modes de consommation du spectacle sportif et des partenariats entre les équipes de garçons et équipes de filles.
La gratuité de diffusion est un premier élément différenciant, avec un modèle DAZN/YouTube très avancé côté féminin, avec une audience plus engagée et plus orientée vers les plateformes sociales, où la gratuité est encore disponible, et donc moins lucrative pour les détenteurs de droits (exemple en Angleterre : 6,7 milliards pour la Premier League, contre 10 millions pour la Women Super League).
Le merchandising est un autre levier de différenciation, avec les exemples des sélections nationales ainsi que ceux de clubs comme Arsenal, qui produisent des tenues spécifiques aux féminines. Les publics cibles des affluences et audiences sont également un élément différenciant, avec une clientèle plus familiale, plus diverse.
En ce qui concerne les affluences, elles paraissent plus locales :
Il y a donc un rendement possible sur le marketing de proximité, avec des actions locales, citoyennes, traditionnellement vectrices d’un soutien des collectivités. Comme en témoigne par exemple le fonds créé par la franchise californienne de NWSL Angel City.
Vers l’apparition des fonds d’investissement ?
Ces différences impliquent une compréhension différenciée qu’une gouvernance indépendante peut exploiter, avec des ressources et une organisation spécifiques. C’est le sens de l’engagement de NewCo et la Women Professional Premier League Ltd. en Angleterre, qui annoncent la séparation des deux premières divisions du championnat anglais de la FA. Les cas Michele Kang à Lyon et (potentiellement) Sphera Partners à Bordeaux révèlent l’opportunisme des fonds d’investissement quant à ce besoin en ressources. L’exemple italien du FC Como Women, est pertinent. Partageant la même marque, FC Como, les équipes masculine et féminines n’ont pas le même actionnariat, les garçons sous le pavillon indonésien du groupe Djarum, quant les filles sont sous le pavillon américain du groupe Mercury 13.
Attirés aussi par un écosystème en croissance, donc avec une bascule financière intéressante en cas de revente (ou une valorisation financière pour les actionnaires), les fonds peuvent voir aussi l’émergence d’un marché mondialisé comme un potentiel de synergies. La possibilité de propriétés multiples est ainsi une opportunité à anticiper, notamment avec les très faibles valorisations dans le championnat de France et la valeur croissante des transferts de joueuses.
Les besoins de liquidités des propriétaires de clubs de Ligue 1 et Ligue 2 et l’appétit de structures financières étrangères (Fenway, Arctos, Mercury 13, fonds souverains…) pourraient ainsi remodeler la structure de gouvernance des clubs de LFFP, dans une prochaine étape de professionnalisation du football féminin français.