L’annonce par la Fédération Allemande de Football (DFB) d’un investissement historique de 100 millions d’euros en faveur du football féminin démontre l’accomplissement d’une nouvelle étape dans la stratégie initiée depuis 2022. La professionnalisation complète de la Bundesliga Frauen, objectif majeur de cette stratégie, est un enjeu structurant pour la compétitivité du football féminin allemand et doit passer par une série de mesures, opérées à la fois par la Fédération et par les clubs, et propice à l’ouverture aux capitaux étrangers, à l’instar du Viktoria Berlin. Afin de bien comprendre les objectifs et ressources de la nouvelle Frauen Bundesliga Gesellschaft, SPORTPOWHER© vous présente les différents leviers marketing et économiques à l’œuvre dans l’écosystème du football féminin allemand.
Un terrain fertile pour la croissance et l’ambition
La Fédération Allemande de Football (DFB) a publié en 2022 un rapport de prospective sur la croissance du football féminin professionnel en Allemagne. Cette étude, réalisée en collaboration avec Two Circles, ambitionne des revenus de l’ordre de 130 millions d’euros à l’issue de la saison 2031/32, soit une croissance continue de 18% par an sur 10 ans. Cette étude établit une série d’objectifs clairs : la croissance des droits médias (déjà multipliés par 16 au début de la saison 23/24), une augmentation régulière des affluences, le renforcement du sponsoring au sein de chaque club et la croissance du nombre de pratiquantes dans les niveaux amateurs.
Pour atteindre ces objectifs, l’étude dégage plusieurs leviers structurants opérables par les clubs et la fédération allemande. Le rapport rédigé par Two Circles préconise ainsi d’engager mieux et plus les fans, de professionnaliser les infrastructures et les clubs, d’ancrer le football féminin dans les territoires et maximiser son positionnement RSO, et de développer le potentiel de médiatisation du championnat de première division à travers la mise en valeur des stars. Au niveau international, le rapport anticipe “l’effet catalyseur de l’Euro 2022, de la Coupe du Monde 2027 et de l’Euro 2029”, en prévoyant une candidature allemande pour le prochain Euro Féminin.
Ce qu’il est intéressant de constater, c’est qu’en janvier 2025, le cabinet McKinsey a construit un plan stratégique qui prolonge ces recommandations. Il y est prescrit de renforcer la compétitivité sportive, mettre en avant les joueuses dans l’écosystème médiatique, accélérer la professionnalisation structurelle, ancrer le football féminin dans la société et la communauté, construire une marque forte, et en priorité à tout : coordonner les investissements en définissant une vision commune entre les clubs et la DFB. On lit de manière claire une vision à long terme et pérenne de la stratégie à déployer.
La nette hausse de l’attention des spectateurs
Parmi les éléments positifs observés depuis le début de la réflexion prospective de la DFB, l’augmentation des affluences moyennes des matchs de Google Pixel Bundesliga Frauen est le plus marquant. Depuis le début de saison 2025/26, deux records de fréquentation ont ainsi été battus : 57.000 spectateurs réunis à l’Allianz Arena de Munich et 31.000 spectateurs à Brême. Les matches des promus Union Berlin et Hambourg ont quant à eux rassemblé plus de 10.000 spectateurs chacun lors de la première journée. Ces bons chiffres au niveau de l’affluence témoignent de la croissance du nombre de spectateurs dans les gradins allemands depuis 2019, même si on observe la formation d’un plateau depuis la saison dernière : 2.692 spectateurs en 2024/25, contre 2.876 en 2023/24.
L’attention des spectateurs et des fans se manifeste plus largement sur les réseaux sociaux, avec une hausse continue du nombre de followers sur les principales plateformes. La Bundesliga attire en tout plus de 8 millions d’abonnés cumulés sur les 14 clubs qui la composent. Toutefois, il faut nuancer cette hausse du fait de la large domination du Bayern Munich sur ces indicateurs (7 millions cumulés sur toutes les plateformes à lui seul). Le compte Instagram de la Frauen Bundesliga compte seulement 119.000 abonnés (7% du total du Bayern) : un axe de progression majeur pour la Ligue dans l’interaction avec les fans. Pour comparaison, la Bundesliga Männer compte plus de 16 millions d’abonnés, un tiers du nombre des followers du Bayern masculin.

Record de fréquentation lors du match opposants les deux clubs rivaux du HSV Hamburg et du Werder Bremen
Quant au succès télévisuel, la Bundesliga enregistre une nette hausse du nombre de téléspectateurs : lors de la saison 2023/24 la DFB a recensé 390.000 téléspectateurs par match, soit une augmentation de 42% par rapport à 2022/23.
Le football féminin allemand est un terrain d’attention croissant pour les fans. L’investissement des institutions constitue un moyen d’accélérer la structuration de l’écosystème, pour tenir compte du “momentum” économique créé par les supporters: d’après le rapport économique publié par la DFB en janvier 2025, les revenus “match-day” des clubs de Bundesliga Frauen ont atteint 370 k€ en moyenne par club en 2023/24.
Un plan sur 8 ans : leviers et objectifs
La DFB fait le choix d’investir sur 8 ans la somme de 100 millions €. Ce montant est permis par la très bonne santé financière du football professionnel allemand dans son ensemble. En effet, la DFB a notamment augmenté ses recettes liées au contrat conclu avec Nike, futur équipementier des sélections au détriment de l’historique Adidas. D’un montant supérieur à 100 millions € annuels, ce contrat est à lui seul le catalyseur de la puissance d’investissement de la DFB vers le football féminin, un mouvement qui était déjà anticipé par le Président au moment de la signature avec le Swoosh :
“Nike a présenté une offre de loin supérieure économiquement et nous a surtout convaincus grâce à une vision claire et son engagement au développement durable du football féminin en Allemagne.” (Dr. Holger Blask, Président de la DFB, Mars 2024)
Du point de vue du football féminin, le dernier cycle de droits médias (2023- 2027) a permis une multiplication par 16 des sommes allouées à la Google Pixel Bundesliga Frauen, pour un montant d’environ 5,2 millions d’euros annuels. L’ajout des sponsors domestiques, dont le namer Google Pixel (engagé à hauteur de 5,2 M€ par an), a contribué à la croissance continue des revenus de la Bundesliga Frauen, qui représentent désormais environ 13 millions d’euros et 40% des revenus de la Ligue.
Créer une joint-venture entre la DFB et les clubs : l’investissement partagé et effet de levier
La recommandation proposée par McKinsey en janvier d’une vision commune partagée entre la DFB et les clubs va aboutir et se concrétiser sous la forme d’une société commerciale (joint-venture) détenue à 50% par la Fédération et 50% par les clubs et nommée la Frauen Bundesliga Gesellschaft (FBG). La validation définitive des statuts de la société aura lieu le 7 novembre prochain et consacrera pour la Bundesliga 1. et 2. un modèle inspiré par la ligue masculine pour optimiser son marketing et exploiter la commercialisation des droits. La FBG aura ainsi la même mission que la WSL anglaise, avec les mêmes objectifs de structuration et de croissance pour le football professionnel féminin allemand.
Pour parvenir à ces objectifs, la DFB va donc injecter 100 millions € sur 8 ans. La mission principale consistera à développer et structurer le “produit Bundesliga” auprès des fans, des annonceurs et des médias pour générer une nouvelle phase de croissance : le plan de prospective publié en 2022 prévoit à l’horizon 2032 des revenus portés à plus de 130 millions €, et une affluence moyenne de 7.000 spectateurs par match.
Pour parvenir à ces objectifs, la DFB et les clubs doivent amorcer les transformations prescrites par les rapports publiés par Two Circles puis McKinsey :
- Renforcer la compétitivité interne et créer des formats attractifs de compétition
- Affirmer le positionnement auprès du public
- Construire une programmation des matchs et un calendrier favorables
- Développer le storytelling du championnat, des clubs et des joueuses
- Promouvoir des actifs marketing variés, ouvrir l’expérience “Direct-to-Consumer” (D2C)
Au niveau de la compétitivité interne, l’essor continu du Bayern Munich combiné à la présence d’historiques poids lourds européens comme Wolfsburg et le Werder Brême, mais aussi l’émergence de projets ambitieux à Leipzig et Francfort, permettent des affiches variées dont l’intensité de scénario offre une plus grande captivité des fans et téléspectateurs. Cette compétitivité entre clubs se retrouve concrètement dans le marché des transferts, où la Bundesliga s’est affirmée cet été comme première destinataire des flux entrants (102 joueuses enregistrées), avec un niveau d’investissement accru (1,38 M€, 3ème ligue la plus dépensière et +391% par rapport à 2024). L’afflux de joueuses, dont certaines stars, permet d’ailleurs d’actionner des leviers d’attractivité majeurs auprès du public comme des sponsors et des diffuseurs.
La programmation est quant à elle un facteur clé : la “plateauisation” des affluences (que nous avions analysée dans cet article) est vue comme une conséquence probable d’horaires partiellement inadaptés à la consommation du sport féminin, dont la cible est plus familiale, plus jeune et plus féminine (46% des fans). L’arbitrage entre les besoins des fans et les impératifs des diffuseurs est la clé pour optimiser la fréquentation et les audiences.
Enfin, le storytelling, les actifs marketing et les interactions D2C avec les fans sont le principal enjeu de la maturité numérique à apporter au football féminin allemand, avec le développement des comptes sur les différentes plateformes digitales. Ces plateformes offrent à l’ayant-droit et au fan des opportunités de création de contenu multiples et interactifs, propices d’ailleurs à des activations sponsoring efficaces. Un point central de l’accord avec Google pour le naming du Championnat (Google Pixel Bundesliga Frauen), et qui peut nourrir de futurs partenariats commerciaux.
Exemple d’activation de la part de Google Pixel pour l’interactivité des contenus media
L’investissement attendu de la part des clubs
En créant une joint-venture, la DFB et les clubs vont se partager l’investissement structurel qui irriguera le football professionnel féminin. Majoritairement issues des clubs masculins (12/14 en Bundesliga Frauen 1.), les équipes féminines pourront donc bénéficier de l’excellente santé financière des clubs allemands, dont le chiffre d’affaires cumulé tend à atteindre 6 milliards d’euros, et affiche une croissance 4 fois supérieure au championnat espagnol (+12%, contre 3,2% en Liga).
La pérennité du modèle allemand (dit “50+1”) permet également une gouvernance saine, centrée sur la sécurité économique et l’investissement local. Dans les discussions menées entre la DFB et les clubs pour la valorisation des équipes féminines, l’effort de structuration au niveau foncier pour les infrastructures d’entraînement ainsi que sur le développement commercial, représente un vecteur de croissance pour la valorisation économique et territoriale de chaque “marque” sur sa région : publics, sponsors et lien avec les collectivités locales.
Les clubs représentés dans la société commerciale commune (50% des droits de vote) sont donc engagés à investir notablement dans la professionnalisation des collaborateurs hors-terrain, en vue d’augmenter la capacité à attirer des sponsors individuels/locaux sur les équipes féminines d’une part, mais aussi à investir sur la structuration médicale, afin de mieux suivre les parcours des joueuses, et leur permettre une meilleure expression de leur talent sportif.
Le modèle “intégré” des équipes féminines au sein des clubs historiques allemands semble le modèle privilégié par la FBG. Ainsi, dans le document de 2022, il était présenté une perspective de “haute intégration” qui permet aux équipes féminines de ces clubs de bénéficier de la culture club et des infrastructures existantes, notamment l’exploitation croissante des stades premium. Les exemples de Francfort et Munich notamment, qui ont su rassembler plus de 57.000 spectateurs dans leurs stades fanions, sont moteurs pour la stratégie intégratrice de la FBG.
Les clubs sont incités donc à accélérer cette intégration, en représentant plus les féminines dans les organes de direction, instaurer des standards communs en matière d’entraînement (tout en respectant la différenciation physiologique) et en investissant dans l’expérience-fan sur les stades dédiés aux féminines, quand le stade de l’équipe masculine n’est pas leur résidence principale.
Enfin, les clubs et la DFB entendent investir massivement sur la formation, un facteur-clé du succès sur les prochaines échéances sportives internationales.
Toutefois, une exception vient enrichir le paysage du football professionnel féminin allemand : le Viktoria Berlin. Promu cette saison en Bundesliga 2., le club repris en 2022 par Felicia Mutterer et Katharina Kurz est une société indépendante dont le projet vise à montrer que le football féminin peut « emprunter une autre voie que le football masculin » et « veille à une implication populaire et pertinente sur le plan socio-politique ». Très impliqué dans la culture et la communauté berlinoises (la maire de Berlin Franziska Giffey a pris la parole lors de l’inauguration du club), le Viktoria Berlin a conquis son public : le Lichterfelde Stadion a réuni 4.300 spectateurs lors du match d’accession l’été dernier. Construit avec la même inspiration que le club d’Angel City FC, le Viktoria Berlin va entamer cette saison un tournant majeur : Monarch Collective, d’ailleurs actionnaire du club californien, a acquis 38% des parts du club berlinois ce 5 novembre 2025. En accord avec les règles imposées par le « 50+1 », l’investissement de Monarch Collective va permettre au Viktoria Berlin d’amplifier son rayonnement local et national, et structurer son développement, alors qu’il compte déjà 246 investisseurs privés et des partenaires de renom (Nike, Teufel, Samsonite…). L’arrivée du puissant fonds américain valide aussi la stratégie prise par la DFB, en l’arrimant à d’importants investissements étrangers.
La vision : remettre le football féminin allemand au coeur de la compétition : vers la Coupe du Monde 2035 ?
La stratégie de la DFB envers le football féminin ne vise pas que la consolidation du football professionnel. Le but est expressément de regagner en compétitivité dans le concert des sélections nationales. En effet l’Allemagne, autrefois mastodonte des compétitions internationales, a régressé dans les palmarès européens et mondiaux : sa dernière finale européenne date de 2022, et son dernier titre de 2013. À l’échelle mondiale, la sélection n’a plus atteint de finale depuis son titre de 2007, et n’a participé qu’à une demi-finale (2015) depuis. En Ligue des Champions, les clubs allemands, majoritaires dans le palmarès de la compétition avec 9 victoires et 8 finales, connaissent aussi une baisse de compétitivité : aucune victoire depuis Francfort en 2015, et l’absence de demi-finaliste allemand pour la première fois en 2024. Si l’on extrapole aux catégories jeunes, le constat est plus négatif encore : non qualification au tournoi européen en U17 (2024), élimination en phase de groupes en U19, pas de titre mondial U20 depuis 2014.
Or l’intérêt du public pour le football féminin passe en particulier par sa capacité à briller sur la scène internationale. Les exploits participent à l’élévation de rôles modèles, l’engouement populaire et la croissance au niveau amateur, en ouvrant des vocations chez les jeunes joueuses. L’investissement conjoint entre la DFB et les clubs vise donc à redevenir compétitif à l’échelle internationale, par le biais de l’élévation des conditions d’entraînement et de formation. Le travail d’intégration avec les clubs, dont le Bayern Munich, est un levier essentiel pour progresser sur cet axe majeur.

Bayern Munich et Vfl Wolfsburg, le nouveau « Klassiker » du football féminin
L’Allemagne a en effet l’objectif d’organiser une grande compétition féminine internationale, avec une candidature officialisée pour l’Euro 2029 (mais soumise à la concurrence du dossier Suède-Danemark) et un intérêt pour une édition prochaine de la Coupe du Monde, vraisemblablement 2035 selon les rotations continentales en vigueur à la FIFA. Le travail mené sur la Bundesliga Frauen vise à structurer un écosystème complet irriguant le football féminin amateur: la DFB vise à l’horizon 2032 un vivier de 500.000 joueuses actives, soit une augmentation de plus de 150% par rapport aux 187.000 joueuses inscrites en 2022 (source : DFB).
L’investissement de 100 millions d’euros annoncé par la DFB en faveur du football féminin professionnel est donc un pari stratégique majeur, qui vise à mieux structurer et professionnaliser les acteurs de Bundesliga. Cet investissement doit permettre de créer une impulsion à l’échelle nationale, pour renouveler la croissance sur la formation et le développement des talents, indispensable à la reconquête des plus beaux titres internationaux pour la sélection.