Le sport professionnel est une industrie de consommation, valorisée au-delà de 600 milliards $. Cœur de cette industrie, les supporters dépensent pour leurs billets, merchandising, restauration, transport, abonnements aux plateformes, jeux vidéos… Sur le marché américain, cela représente un volume de dépenses entre 1.122 et 1.600$ par fan et par an. Dans un rapport publié le 15 octobre intitulé “The Cost of Fandom”, Ally, la banque américaine la plus engagée dans le sport féminin, témoigne des différences de comportement d’achat entre supporters et supportrices, et propose un regard spécifique sur les fans de sport féminin. Pour enrichir cette étude, SPORTPOWHER© vous propose son analyse de la relation entre le sport féminin et ses fans.
Le sport féminin, plus d’offre et plus de fans
Le sport féminin a longtemps été invisibilisé et donc soustrait à toute possibilité de croissance économique. À la fin des années 2010, le succès croissant des grands événements conjugué à une prise de conscience par les institutions d’un besoin de structuration du haut niveau féminin ont enclenché un mouvement positif. La force du lien qui l’unit à ses fans, l’attachement que ceux-ci éprouvent envers les combats du sport féminin pour exister, ont fini par être moteur dans le développement de l’intérêt stratégique des investisseurs, qui depuis 2020 s’est traduit aux États-Unis par un engagement exponentiel, favorisant l’essor de l’écosystème tout entier.

D’après un rapport publié par McKinsey, le nombre de ligues professionnelles de sport féminin dans le monde s’élevait à 164 en 2024, soit une augmentation de 10% depuis 2021 et de 35% depuis 2010. C’est aux États-Unis que le phénomène est le plus marquant, avec de nouvelles ligues de volley, baseball et prochainement une seconde ligue de basket-ball, mais aussi des politiques d’expansion des ligues majeures (basket, football). La NWSL (football, USA) qui comptait 9 équipes en 2020, en comptera 16 en 2026. La WNBA a validé 3 nouvelles équipes. La tendance est également vraie au niveau des grandes compétitions internationales qui étendent le nombre d’équipes participantes (UEFA Champions League en compétition de clubs mais aussi FIFA Women’s World Cup).
Une dynamique s’est mise en place qui repose sur un mouvement de coalition : les investisseurs investissent rendant le produit plus qualitatif, les championnes ont davantage les moyens de se consacrer à leur sport, les fans sont au rendez-vous et médias et partenaires valorisent ce mouvement. En France aussi, le mouvement est positif avec une part dans les médias qui progresse, essentiellement grâce aux grands événements sportifs, là où aux États-Unis et au Royaume-Uni, la croissance est liée au développement de la médiatisation des compétitions domestiques.
Cette triple progression nourrit l’intérêt d’une communauté de fans dont la croissance et le taux de fidélisation sont supérieurs à la moyenne du sport professionnel global (Sports Innovation Lab, 2024). Concrètement, 57% des fans de sport féminin le sont depuis moins de 5 ans et c’est pourquoi sont battus chaque année de nouveaux records d’audience et d’affluence :
- Euro 2025 : 623.088 spectateurs
- Coupe du Monde de Rugby 2025 : 444.465 tickets vendus
- WNBA 2025 : 969.000 téléspectateurs en saison régulière, 1,5 million sur les Finales
- Première Ligue Arkéma 2024/25 : +50% d’affluence dans les stades
- Tour de France Femmes 2025 : 25,7 millions de téléspectateurs en France
Enfin, le sport féminin se mondialise également avec l’ascension de championnes globales, qui fédèrent des millions de fans, notamment sur les réseaux sociaux. L’index Most Marketables Athletes 2025 recense 20 femmes parmi les 50 champions les plus influents dont deux dans le Top 3 : Simone Biles et Ilona Maher. D’autres figures médiatiques importantes ont propulsé le sport féminin: Caitlin Clark, Alexia Putellas, Coco Gauff, Nelly Korda…
La croissance du marché du sport féminin est parfois qualifiée de “météorique” (Nielsen, 2023) et représente un puissant levier pour toutes les formes de consommation du spectacle sportif. Ainsi, 25% des foyers américains ont réalisé un achat lié au sport féminin en 2024, et 22% des fans ont dépensé pour le sport féminin en 2025 une somme plus importante qu’en 2024.
Les dépenses liées au sport féminin, un marqueur social et affinitaire
Confrontés longtemps à l’invisibilisation des compétitions féminines, les fans ont profité de l’émergence des réseaux sociaux pour développer des espaces de partage de leur passion (YouTube, Instagram, Tik Tok), et ont ainsi construit un sentiment affinitaire très fort. Les championnes génèrent un taux d’engagement de leurs publications 2x supérieur à celui des athlètes masculins (The Collective Part 1, 2024). Le sport féminin doit donc être considéré comme une communauté active, au sein de laquelle s’animent d’efficaces liens d’appartenance : 50% des fans se disent fans de “sport féminin”, contre 37% fans d’une équipe (Wasserman, 2024).
Les liens d’appartenance sont cultivés par le renforcement d’un marketing informationnel et relationnel, continu et multidimensionnel : ainsi les fans sont en contact avec leur passion à travers leur présence aux événements sportifs, mais aussi l’achat de produits dérivés, l’abonnement aux comptes sociaux, aux plateformes de streaming, aux newsletters…
Avec l’essor de l’offre disponible, les fans de sport féminin considèrent leur investissement dans le sport féminin comme un marqueur d’engagement sociétal, voire comme un outil de prescription envers leurs proches. Un engagement d’autant plus sensible chez les plus jeunes : 40% des fans issus de la Gen Z estiment que “s’investir pour le sport féminin est une contribution envers la parité et l’empowerment des femmes”, et 16% d’entre eux qu’elle “est un moyen d’influencer leur famille et amis pour qu’ils deviennent fans”.
Au sein de cet espace affinitaire commun, on distingue toutefois des comportements de consommation différenciés selon le degré de socialisation sportive, l’âge, le genre et la parentalité. Ces différences catégorisent des typologies de fans distinctes, intégrées au “Fan Relationship Management”.
Du fandom du sport féminin aux personas : quelles habitudes pour quelles consommations ?
Une première distinction se fonde sur le degré de socialisation sportive : consomme-t-on le spectacle sportif seul ou en groupe ? Les études, notamment menées par Ally et Wasserman, montrent que le sport féminin compte plus de fans “solo” (18%) que le sport masculin (5,4%). La plus forte dispersion géographique entre les équipes par rapport au maillage du sport professionnel masculin explique en partie cette différence.
Les fans solitaires ont une consommation “informationnelle” : suivi assidu des comptes sociaux, abonnement aux newsletters, lecture des résumés. Leur engagement sur le merchandising est plus faible, et restreint aux accessoires (porte-clés, magnets, badges). Les hommes fans de sport féminin sont majoritaires parmi ces fans “isolés”.
Le segment des fans “en groupe” représente le segment le plus important parmi les fans de sport féminin (54% en WNBA, 59% en NWSL). Fortement emprunts de la culture pop et “lifestyle”, ces fans sociaux cultivent une relation à 360° avec le sport féminin et ses marques et recherchent l’interactivité et l’expression affinitaire (port de maillots et accessoires de son club ou sa championne préférée).
Pour les supportrices et le sport féminin, la consommation sociale du sport est un marqueur proéminent :
- 52% des femmes se sont rendues chez un tiers pour suivre un événement sportif à la télévision, contre 46% des hommes.
- 49% des achats de merchandising sportif féminin sont réalisés via le social-shopping (source : RepHer x Klarna, 2024)
La parentalité est un second critère de segmentation : 49% des mères ont pratiqué du sport avant leur maternité, 91% sont impliquées dans les activités sportives de leur enfant. Les marques sportives trouvent ainsi avec les mères fans de sport d’autres points de contact, à travers la santé, l’équipement de leur enfant. Ce sont d’autres espaces relationnels à investir pour cultiver leur appartenance. Les mères présentent aussi des contraintes financières : 97% des mères prennent en compte l’intérêt familial dans leur décision d’achat, restreignant le budget alloué aux dépenses de “divertissement” liées à leur supportérisme (environ 500 $ par an, d’après les estimations d’Ally sur le marché américain).
L’âge contribue à des distinctions importantes en termes de valeur parmi les fans du sport féminin. Les Millennials représentent une cible stratégique pour le FRM : 75 % d’entre elles se déclarent fans assidues, avec un comportement d’achat très actif en billetterie, merchandising et en abonnement aux plateformes de streaming. La génération millenial contribue à une plus forte appétence féminine pour les “watching parties” que les hommes : 52% des femmes y ont participé au moins une fois sur les 12 derniers mois, contre 46% des hommes.
La Gen Z est très impliquée dans la participation aux événements sportifs, et notamment dans la co-création (65 % pratiquent un sport), et se montre très active dans le social-shopping : 53% de leurs achats de merchandising se font via TikTok (+ 13 points par rapport à l’ensemble des fans).
Enfin, la Gen X, qui détient pourtant le plus fort pouvoir d’achat, est la génération la moins engagée dans les offres traditionnelles : 48 % des femmes Gen X ne souhaitent pas acheter de merchandising, préférant des expériences plus personnalisées et significatives.
Le Fan Relationship Management, un lien puissant pour la construction de valeur
Face à une audience protéiforme, les acteurs de l’écosystème sportif repensent leurs indicateurs et les politiques marketing. En se détachant du facteur unique de la visibilité (reach), et en promouvant le suivi du Fan Relationship Management, les marques et organisations parviennent à mieux représenter l’engagement de leurs fans. En se basant sur la puissance supérieure du sport féminin (l’indice de puissance de marque est supérieur de 3,8 points au sport masculin), elles dessinent ainsi un lien informationnel, relationnel et commercial qui cultive l’appartenance commune entre athlètes, ligues, clubs et fans. C’est grâce à ce lien affinitaire particulièrement puissant que le sport féminin professionnel continue son hyper-croissance économique, entamée depuis la fin des années 2010.


