Sport féminin, visibilité et attention: quelles évolutions en 2024 ?

En ce début d’année 2025 ont été publiées consécutivement 3 études portant sur la visibilité médiatique des sportives par Sporsora & Opinion Way, l’ARCOM et Women’s Sport Trust. En cette année charnière entre post-olympiade et été chargé (Coupe du Monde de Rugby, Euro UEFA, EuroBasket, et plus tard les championnats du Monde de handball), la place du sport féminin est forcément scrutée et l’analyse des retombées médiatiques est une donnée précieuse pour actionner les prochains leviers de développement commercial du sport-business au féminin.

Une visibilité en hausse, mais…

Au Royaume-Uni, en France et à l’échelle mondiale, on constate une hausse de la visibilité du sport féminin, boostée évidemment par les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 (5 milliards de téléspectateurs mondiaux, 51 millions en France).

Les JOP Paris 2024 ont permis une couverture considérablement plus paritaire des épreuves féminines, avec un global à 37% (42% en excluant les épreuves paralympiques).

Néanmoins, cette croissance importante s’accompagne de points de vigilance significatifs sur les paysages médiatiques anglais et français. En effet, à enjeu comparable, les diffuseurs persistent à privilégier les épreuves et rencontres masculines, notamment en accordant plus aisément les créneaux « prime-time » aux hommes.

En scrutant de plus près les engagements des téléspectateurs, on constate que les comportements de consommation liés aux Jeux Olympiques sont d’abord un effet d’opportunité, l’attention étant plus réellement captée par les disciplines à large popularité comme le football, le rugby et, typiquement british, le cricket. A noter l’absence statistique du tennis, qui, malgré les scores d’audience très importants de Wimbledon (4,1 millions de téléspectateurs sur la BBC), qui démontre le nationalisme sportif à l’oeuvre dès lors que les locaux sont moins à l’honneur des médailles. On retiendra pour exemple l’audience record en France de la mass-start féminine des Championnats du Monde de biathlon, où figurait Julia Simon, qui a réuni 1,8 millions de téléspectateurs.

Source : Women’s Sport Trust

Un point à souligner sur la diffusion du sport féminin à la télévision, c’est le volontarisme du secteur gratuit, notamment impulsé par les chaînes de service public, à l’exemple du Royaume-Uni. En effet, les modèles économiques en jeu sur le sport féminin européen restent dépendants du « Free-To-Air », y compris sur les plateformes de streaming (DAZN et YouTube).

Le traitement des sportives sur les réseaux sociaux

Le sport se consomme de plus en plus sur les plateformes socio-numériques et les Jeux Olympiques et Paralympiques ont suscité plus de 869 000 mentions d’athlètes. L’ARCOM a relevé que près d’un tiers (31%) de ces mentions concernaient des sportives.

Mais ces mentions révèlent un biais de genre dans leur contenu avec une sous-reconnaissance de la performance au profit de caractéristiques intimes et personnelles (statut parental ou marital).

Le constat à relever est ainsi l’invisibilisation de la performance sportive de l’athlète féminine en compétition mixte (au sens de la juxtaposition des épreuves masculines et féminines sur une durée commune de compétition). Un constat toujours d’actualité et renvoyant aux travaux de Noémie Roques sur les « modèles de genre et genres de modèle », de Mélie Fraysse & Eléonore Affre-Garcia sur les représentations genrées dans l’imagerie yogfit, et des constats plus anciens de Béatrice Barbusse ou Sandy Montanola.

« C’est important de préciser que ce n’est pas parce qu’on fait du rugby qu’on est des garçons manqués » – Safi N’Diaye, rapporté par Béatrice Barbusse

Néanmoins, à l’exemple du réseau social TikTok, plateforme moteur de la croissance médiatique du sport professionnel féminin, on remarque une visibilité plus performante du contenu féminin par rapport au masculin.

Une dynamique amplifiée sur les comptes des compétitions ou sections féminines :

Cette croissance est portée par l’amplification des contenus « off-field » centrés sur les sportives à un plan individuel. Une stratégie qu’on retrouve en France avec l’engouement unique autour de Violette Dorange pendant le Vendée Globe 2024

Violette Dorange a notamment connu une croissance de près de 160 % sur ce réseau social les trois derniers mois, portant son nombre d’abonnés à 605 000, contre environ 30 000 au départ. source : L’Equipe

Une notoriété française encore fragile

Bien que les JOP Paris 2024 aient confirmé la dynamique dans l’opinion du sport féminin et de sa nécessaire visibilité, l’étude Opinion Way x Sporsora montre une faible conversion dans la reconnaissance des athlètes en activité.

Ainsi, la première sportive encore en activité à être citée (Wendie Renard) n’apparaît qu’en 5ème position. On peut affiner l’analyse du sondage en observant une encore plus faible représentativité des sportives issues de disciplines collectives (5 sur 26 propositions, dont 3 footballeuses). De plus, même le statut de médaillées olympiques ne constitue pas une source de notoriété, avec 13 athlètes médaillées qui plafonnent sous les 15% de notoriété assistée, alors que Caroline Garcia dépasse les 25%. En croisant cette donnée avec la visibilité annualisée, on diagnostique surtout le besoin de continuité dans l’exposition médiatique des sportives.

Ainsi, l’étude Sporsora démontre le faible apport des réseaux sociaux en France sur le suivi des athlètes, alors que sur une échelle mondiale, ceux-ci progressent constamment dans les modalités de consommation de contenu sportif.

L’engagement plus faible sur les plateformes socio-numériques est la cause d’un déficit d’attention portée aux marques/sponsors autour du sport au féminin.

Ainsi, l’association assistée présentée par l’étude Sporsora x Opinion Way montre en leaders Adidas (38% de mentions), Décathlon (37%) et Nike (36%). Qui sont des marques déjà connues, et présentes globalement dans le sport, féminin et masculin. Dans la suite du classement, si la présence d’Orange, Sephora et FDJ est à saluer (même si celles-ci sont identifiables comme partenaires des JOP Paris 2024), on constate surtout la très faible mention de La Boulangère, MGEN, Arkéma, Suez, Butagaz malgré des namings sur les ligues professionnelles de basket, hand ou football et le sponsoring majeur d’équipe cycliste.

Le déficit de suivi socio-numérique impacte ainsi l’attractivité marketing des sportives, dont la visibilité annualisée est déjà fortement contrainte. Une approche plus « gen-Z centrée » permettrait des activations plus intégrées dans des contenus sociaux, à l’image des exemples américains, anglais et italiens :

Condamnées aux exploits ?

Le cas de Violette Dorange suscite autant l’optimisme qu’il interroge sur l’opportunisme court-termiste des marques. Après une campagne médiatique très dynamique, la skipper du team DeVenir voit désormais les sponsors affluer pour une prochaine édition et ses prochains défis. A l’opposé du spectre de la diffusion du sport en télévision, la taekwondiste championne olympique Althéa Laurin a « perdu 1/3 de ses sponsors » depuis l’été.

Pour faire la Une des médias quand on est une femme, il ne suffit pas de performer, il faut ultra-performer. Béatrice Barbusse

Peu de marques investissent sur les sportives. Elles capitalisent sur les succès déjà réalisés, comme on pouvait le constater avec les multi-présences de Pauline Déroulède ou Clarisse Agbegnenou parmi les teams d’athlètes aux JOP. Or, si le « ROI » du sport féminin est si élevé, il implique tout de même d’investir, c’est à dire anticiper sur le succès à venir (et lucidement réaliste). Le paysage médiatico-sportif français rend pourtant nécessaire l’exploit comme norme de médiatisation des athlètes féminines. Un basculement vers les plateformes sociales permettrait dès lors une diffusion plus continue et plus large auprès des communautés de fans, engageant de fait mieux les sponsors et partenaires.

A l’orée de trois événements sportifs majeurs sur le plan féminin, cette question de la médiatisation sous condition se pose d’autant plus. En effet, tant en Coupe du Monde de Rugby qu’à l’Euro UEFA, les chances d’or français sont en l’état des dynamiques sportives, faibles. Est-ce que la médiatisation saura tout de même offrir une place de choix aux sélections parmi la grille de programmes de cet été sur TF1 et ses chaînes ? Quant au basket, il est raisonnable de penser que l’EuroBasket suivrait la vague d’engouement de l’exploit olympique, avec le suspense de la lutte à venir contre les Etats-Unis, à condition que la compétition… trouve un diffuseur.

Il y a donc un héritage à trouver aux GESI féminins, avec une continuité dans la diffusion, une transformation vers les pratiques digitales, pour créer les opportunités économiques et commerciales pour les athlètes, et valoriser de manière pérenne le sport professionnel féminin en France.