Rachat du Paris FC : Red Bull donnera-t-il des elles ?
Alors que le club francilien a annoncé être entré en négociations exclusives avec Agache, la holding familiale de Bernard Arnault, et Red Bull, nombreux sont les fantasmes d’un nouveau concurrent de poids face au PSG. Pourtant, dans le football féminin, cette rivalité existe déjà et ce rachat futur semble constituer un socle de conséquences particulièrement intéressant pour l’avenir du football féminin français et même mondial. Décryptage marketing et économique.
L’engagement sportif et féminin de LVMH, un sujet récent
Même s’il convient de rappeler que l’investissement d’Agache n’est pas celui de LVMH, la holding familiale agit tout de même en véhicule financier du groupe, et on peut associer la participation actionnariale d’Agache aux récentes opérations de LVMH dans l’écosystème sportif. De fait, en un été, le groupe a transformé radicalement son approche quant au sponsoring, en investissant désormais en tant que marque corporate, plutôt que maison par maison. En initiant son engagement par les Jeux Olympiques Paris 2024, LVMH s’est constitué un territoire d’expression à la fois mondial et prestigieux, tout à fait en cohérence avec l’identité territoriale (« glocale ») et de savoir-faire que représentent les principales maisons (Louis Vuitton, Dior, Hennessy). En plus de la campagne médiatique, LVMH a accompagné une team de 7 athlètes, dont 3 sportives (Mélanie Jésus Dos Santos, Pauline Deroulède, Marie Patouillet).
Dans la continuité de l’engagement olympique, LVMH a annoncé un partenariat record avec la Formule 1, un autre territoire sportif propice au prestige du luxe français et international. Les amitiés de paddock entre Frédéric Arnault et Red Bull ont finalement conduit, à travers la holding Agache et la participation minoritaire de Red Bull, à ce que la famille Arnault approfondisse son empreinte sportive avec la prise de participation majoritaire au sein du Paris FC, outil de rayonnement très différent des actifs précédents.
Côté empowerment féminin, LVMH a construit dès 2007 le programme « EllesVMH », une initiative de tutorat et de leadership qui a pour objectif une meilleure parité parmi les cadres des maisons du groupe. Cet attachement à la représentativité féminine, dont le projet « SHERO » est la vitrine, trouvera-t-il écho au sein d’un club dont l’équipe aujourd’hui la plus compétitive est la section féminine ?
La féminisation des audiences et le développement commercial des sections féminines est un enjeu essentiel de la congruence avec les marques de luxe. Soutenir le développement du Paris FC féminin peut donc avoir un effet de levier sur l’émergence d’ambassadrices, d’audience et de conquête de parts de marché parmi les joueuses et les publics qui les accompagnent, notamment au travers de collaborations stylistiques avec les marques du groupe, en bagagerie en particulier.
Red Bull et le football au féminin, axer la formation comme chez les garçons
A Leipzig, Salzbourg et Sao Paulo, Red Bull a pris le temps de structurer leurs sections féminines autour de la formation. Alors que le Red Bull Salzburg existe par exemple depuis 2005, le club n’a constitué le projet d’une équipe U16F qu’en décembre 2022, avec l’inscription pour la saison 23/24. Alors que la « rotisation » du club est postérieure à Salzbourg, le projet féminin de Leipzig est pourtant plus ancien, avec une section construite dès 2016, et une accession en Bundesliga la saison dernière, portée par la seconde meilleure affluence de 2. Bundesliga en 2022/23 (372 spectateurs, sur le centre d’entraînement du RB Leipzig). En 23/24, ce sont 2011 spectateurs en moyenne qui ont soutenu les joueuses durant la saison, montrant un engouement croissant autour d’un club en progression (8eme lors de sa saison inaugurale, actuellement 5eme de Bundesliga Frauen).
Ce que le modèle Red Bull peut inspirer pour le projet parisien, c’est l’accent porté sur la territorialisation de la formation. Bernd Winkler, responsable du football féminin au RB Salzbourg, explique la conviction du club sur le recrutement de joueuses exclusivement locales :
« L’année dernière, nous n’avons recruté que des joueuses dans un rayon de 50 kilomètres. Cette année, nous avons six places d’internat pour les joueuses du Tyrol, du Vorarlberg et de Carinthie, en partie parce qu’elles n’ont pas la possibilité de s’épanouir dans ces Länder. L’objectif doit être d’avoir un plus grand nombre de joueuses en Autriche. Pas seulement pour la Bundesliga, mais aussi pour les ligues plus petites. Il y a environ 15 000 joueuses en Autriche, environ 100 000 aux Pays-Bas et environ 50 000 en Suisse. Nous sommes déjà très en retard. Et une chose est sûre : plus il y a de joueuses, plus les clubs ont de talents à leur disposition. »
Avec cette stratégie territorialisante, Red Bull trouverait sur le bassin parisien un terrain de jeu autrement plus étoffé, et de quoi concurrencer frontalement le bassin lyonnais sur la haute performance du centre de formation.
Leipzig, Salzbourg, Bragantino… et Paris, Red Bull vers l’instauration de la MCO dans le football féminin ?
Bien que Pierre Ferracci, qui conservera une part de 30% du capital du Paris FC après le rachat par Agache, soit un farouche opposant au concept de multi-propriété sportive, la globalisation des flux de joueuses et le tarissement des transferts entrants côté Première Ligue pourraient néanmoins constituer des arguments de poids pour modéliser des mouvements de joueuses entre les différentes entités soutenues par le Taureau ailé. Depuis le continent sud-américain (bien que l’attrait du championnat mexicain soit en nette progression), ou depuis l’Allemagne ou l’Autriche, le Paris FC pourrait bénéficier des réseaux de recrutement de Red Bull tout en permettant aux joueuses franciliennes de s’aguerrir aux joutes de Bundesliga autrichienne ou allemande. Avec l’assise financière de LVMH, le Paris FC pourrait même devenir le vaisseau amiral du football féminin made in Red Bull, sous réserve d’une nouvelle arène.
Quel stade de résidence pour le Paris FC féminin ?
Dès l’annonce du rachat, les spéculations de déménagement du Paris FC hors de Charléty ont fusé : Jean Bouin, Parc des Princes ? L’hypothèse Jean Bouin, lieu de résidence du Stade Français, poserait d’autant plus problème qu’il faudrait partager le terrain non pas à deux, mais 3 équipes d’élite. Et si les féminines devenaient seules résidentes de Charléty ?
Le modèle d’autonomie des sections féminines est en plein essor, avec l’exemple du FC Como, dont les sections masculine et féminine ont des actionnaires et des équipementiers différents. En Angleterre comme en France, la création des Ligues Professionnelles s’accompagnent des volontés d’émancipation des sections féminines, notamment sur le plan commercial et partenarial. L’exploitation d’un stade « exclusif » permettrait ainsi à la section féminine de bénéficier d’un modèle économique particulier, à la croisée de propositions de valeur distinctes du football masculin : public familial, plus grande portée de la gratuité, proximité des joueuses et intégration des contenus digitaux. LVMH lui-même pourrait ainsi activer à discrétion ses marques et maisons selon les congruences relatives au sport féminin ou masculin, avec des écrins aux identités stratégiques propres : Jean Bouin pour l’équipe masculine, Charléty pour les féminines, en exploitant notamment l’espace de la piste d’athlétisme pour des fan-zone familiales et ludiques propices au public de Première Ligue Arkema, portes d’entrée de conquête ou de fidélisation auprès des marques des actionnaires.